On adoroit Apollon à Delphes , non seulement sous
le nom de Delphique et de Pythien, mais encore sous
celui de Delphinien f DelphiniosJ. On racontoit, pour
rendre raison de ce titre, que le dieu setoit montré
sous la forme d’un dauphin aux Cretois qu’il avoit obli-
gés d’aborder sur le rivage de Delphes, et qui y avoient
fondé l’oracle le plus révéré du monde connu des Grecs.
Cette fable n’a eu peut-être d’autre origine que la ressemblance
du nom de Delphes avec celui du dauphin
(delphinJ ; mais elle est de la plus haute antiquité, et
on en lit les détails dans l'hymne à l’honneur d’Apollon,
que l’on attribue à Homère. Le citoyen Visconti regarde
comme certain que l’Apollon delphinius adoré à Delphes
avoit des dauphins pour symboles. Des figures de dauphins
dévoient orner son temple ; et comme les décorations
de ce sanctuaire remontoient aux siècles les
plus reculés, elles dévoient porter l’empreinte de l’enfance
de l’art. Ces figures inexactes, imparfaites, grossières
, et si peu semblables à la nature, ont été cependant
consacrées par le temps et par la sainteté de
l’oracle. Les artistes habiles qui sont venus à l’époque
où la sculpture avoit déjà fait des progrès, n’ont pas
osé corriger ces figures d’après des modèles vivans; ils
se sont contentés d’en embellir le caractère, d’en agrandir
les traits, d’en adoucir les contours. La forme bizarre
des dauphins delphupies a passé sur les roonu-
mens des anciens j s’est perpétuée sur les productions
des peuples modernes; et si aucun des auteurs qui ont
décrit le temple de Delphes, n’a parlé de ces dauphins
sculptés par le ciseau des plus anciens artistes grecs,
c’est que ce temple d’Apollon a été pillé plusieurs fois,
et que, du temps de Pausanias , il ne restoit aucun des
anciens ornemens du sanctuaire.
Les peintres et les sculpteurs modernes ont donc représenté
le dauphin, comme les artistes grecs du temps
d’Homère, avec la queue relevée1, la tête très-grosse,
la gueule très-grande, etc. Mais sous quelques traits
qu’il ait été vu , les historiens l’ont célébré, les poètes
l’ont chanté, les peuples l’ont consacré à la divinité
qu’ils adoroient. On l’a respecté comme cher, non seulement
à Apollon et à Bacchus, mais encore à Neptune,
qu’il avoit aidé, suivant une tradition religieuse
rapportée par Oppien, à découvrir son Amphitrite lorsque,
voulant conserver sa virginité, elle s’étoit enfuie
jusque dans l’Atlantide. Ce même Oppien l’a nommé
le ministre du Jupiter marin ; et le titre de hieros ichthys
(poisson sacré) lui a été donné dans la Grèce.
On a répété avec sensibilité l’histoire de Phalante
sauvé par un dauphin, après avoir fait naufrage près
des côtes de l’Italie. On a honoré le dauphin, comme
un bienfaiteur de l’homme. On a conservé comme une
allégorie touchante, comme un souvenir consolateur
pour le génie malheureux, l’aventure d’Arion, qui,
menacé de la mort par les féroces matelots du navire
sur lequel il était monté, se précipita dans la mer, fut
accueilli par un dauphin que le doux son de sa lyre