XIV VUE GÉNÉRALE
cette mer universelle un peu éloignées de la surface
de 1 eau et par conséquent de l’atmosphère. Les couches
voisines de cette surface marine, sur laquelle repose* *
pour ainsi dire, l’atmosphère aérienne, sont, à la vérité,
soumises à un froid très-âpre, et endurcies par la congélation
dans les cercles polaires et aux environs de
ces cercles arctique ou antarctique : mais même au-dessous
de ces vastes calottes gelées et des montagnes de
glace qui s’y pressent, sy entassent, s’j consolident, et
accroissent le froid dont elles sont l’ouvrage, les céta-
cées trouvent dans les profondeurs de la mer un asyle
d autant plus tempéré, que, suivant les remarques d’un
physicien aussi éclairé qu’intrépide voyageur, l’eau de
1 océan est plus froide de deux, trois ou quatre degrés ,
sur tous les bas-fonds, que dans les profondeurs voisines'.
Et comme d’ailleurs il est des cétacées qui remontent
dans les fleuves*, on voit que, même sans en excepter
l’homme aidé de la puissance de ses arts, aucune
famille vivante sur la terre n’a régné sur un domaine
aussi étendu que celui des cétacées.
Et comme, d’un autre côté, on peut croire que les
grands cétacées ont vécu plus de mille ans3, disons
que le temps leur appartient comme l’espace ; et ne
• Lettre de M. de Huroboltz au citoyen Lalande, datée de Caraccas en
Amérique, le 23 frimaire an 8.
* Voyez, dans cette Histoire, l’article des bélugas,
’ Consultez l’article des baleines franches.
DES CÉTACÉES.
soyons pas étonnés que le génie de l’allégorie ait voulu
les regarder comme les emblèmes de la durée , aussi-
bien que de l’étendue, et par conséquent comme les
symboles de la puissance éternelle et créatrice.
Mais si les grands cétacées ont pu vivre tant de siècles
et dominer sur de si grands espaces, ils ont dû éprouver
toutes les vicissitudes des temps, comme celles
des lieux; et les voilà encore, pour la morale et la
philosophie, des images imposantes qui rappellent les
catastrophes du pouvoir et de la grandeur.
Ici les extrêmes se touchent. La rose et l’éphémère
sont aussi les emblèmes de l’instabilité. Et quelle différence
entre la durée de la baleine et celle de la rose !
L’homme même, comparé à la baleine, ne vit quâge
de rose. Il paroît à peine occuper un point dans la
durée, pendant qu’un très-petit nombre de générations
de cétacées remonte jusqu’aux époques terribles des
grandes et dernières révolutions du globe. Les grandes
espèces de cétacées sont contemporaines de ces catastrophes
épouvantables qui ont bouleversé la surface de
la terre ; elles restent seules de ces premiers âges du
monde; elles en sont, pour ainsi dire, les ruines
vivantes ; et si le voyageur éclairé et sensible contemple
avec ravissement, au milieu des sables brûlans et des
montagnes nues de la haute Egypte, ces monumens
gigantesques de l’art, ces colonnes, ces statues ,• ces
temples à demi détruits, qui lui présentent l’histoire
consacrée des premiers temps de l’espèce humaine,