avoit attiré, et fut porté jusqu’au port voisin par cet
animal attentif, sensible et reconnoissant.
On a nommé barbares et cruels, les Thraces et les
autres peuples qui donnoient la mort au dauphin.
Toujours en mouvement, il a paru parmi les habi-
taris de l’océan, non seulement le plus rapide, mais
le plus ennemi du repos; on l’a cru l’emblème du génie
qui crée, développe et conserve, parce que son activité
soumet le temps, comme son immensité domine sur
l’espace; on l’a proclamé le roi de la mer.
L’attention se portant de plus en plus vers lui, il a
partagé avec le cygne * l’honneur d’avoir suggéré la
forme des premiers navires, par les proportions déliées
de son corps si proprë à fendre l’eau, et par la position
ainsi que par la figure de ses rames si célères et si
puissantes.
Son intelligence et sa sensibilité devenant chaque
jour l’objet d’une admiration plus vive, on a voulu
leur attribuer une origine merveilleuse : les dauphins
ont été des hommes punis par la vengeance céleste, déchus
de leur premier état, mais conservant des traits de
leur première essence. Bientôt on a rappelé avec plus de
force qu’Apollon avoit pris la figure d’un dauphin pour
conduire vers les rives de Delphes sa colonie chérie.
Neptune, disoit-on, s’étoit changé en dauphin pour
enlever Mélantho, comme Jupiter s’étoit métamorphosé
* Voyez l’article du cygne par Buffon.
en taureau pour enlever Europe. On se représentoit la
beauté craintive, mais animée par l’amour, parcourant
la surface paisible des mers obéissantes, sur le dos du
dauphin dieu qu’elle avoit soumis à ses charmes. Neptune
a été adoré à Sunium, sous la forme de ce dauphin
si cher à son amante. Le dauphin a été plus que
consacré : il a été divinisé. Sa place a été marquée au
rang des dieux ; et on a vu le dauphin céleste briller
parmi les constellations.
Ces opinions pures ou altérées ayant régné avec plus
ou moins de force dans les différentes contrées dont
les fleuves roulent leurs eaux vers le grand bassin de la
Méditerranée, est-il surprenant que le dauphin ait été
pour tant de peuples le symbole de la mer ; qu’on ait
représenté l’Amour un dauphin dans une main et des
fleurs dans l’autre, pour montrer que son empire s’étend
sur la terre et sur l’onde; que le dauphin entortillé
autour d’un trident ait indiqué la liberté du commerce;
que, placé autour d’un trépied, il ait désigné le collège
de quinze prêtres qui desservoit à Rome le temple
d’Apollon; que, caressé par Neptune, il ait été le signe
de la tranquillité des flots,.et du salut des navigateurs;
que disposé autour d’une ancre, ou mis au-dessus d’un
boeuf à face humaine, il ait été le signe hiéroglyphique
de ce mélange de vitesse et de lenteur dans lequel on a
fait consister la prudence, et qu’il ait exprimé cette
maxime favorite d’Auguste, Hâte-toi lentement, que cet
empereur employoit comme devise, même dans ses