62 H I S T O I R E N A T U R E L L E
elle ébranle, fracasse et anéantit ; ou plutôt toute la
force du cétacée réside dans l’ensemble formé par sa
queue et par la nageoire qui la termine. Ses bras, ou,
si on laime mieux, ses nageoires pectorales, peuvent
bien ajouter à la facilité avec laquelle la baleine change
lintensite ou la direction de ses mouvemens, repousse
ses ennemis ou leur donne la mort ; mais, nous le
répétons, elle a récusés rames proprement dites, son
gouvernail, ses armes, sa lourde massue, lorsque la
Nature a donne a sa queue et a la nageoire qui y est
attachée, la figure, la disposition, le volume, la masse,
la mobilité, la souplesse, la vigueur qu’elles montrent,
et par le moyen desquelles elle a pu tant de fois
briser ou renverser et submerger de grandes embarcations.
Ajoutons que la facilité avec laquelle la baleine
franche agite non seulement ses deux bras, mais encore
les deux lobes de sa caudale, indépendamment l’un de
1 autre, est pour elle un moyen bien utile de varier ses
mouvemens, de fléchir sa route, de changer sa position,
et particulièrement de se coucher sur le côté, de se
renverser sur le dos, et de tourner à volonté sur l’axe
que l’on peut supposer dans le sens de sa plus grande
longueur.
S’il est vrai que la baleine franche a au-dessous de
la gorge un vaste réservoir quelle gonfle en y introduisant
de l’air de l’atmosphère, et qui ressemble plus
ou moins à celui que nous ferons reconnoître dans
d'autres énormes cétacées*, elle est aidée dans plusieurs
circonstances de ses mouvemens, de ses voyages, de ses
combats, par une nouvelle et grande cause d’agilité et
de succès.
Mais quoi qu’il en soit, comment pourroit-on être
étonné des effets terribles qu’une baleine franche peut
produire, si l’on réfléchit au calcul suivant?
Une baleine franche peut peser plus de cent cinquante
mille kilogrammes. Sa masse est donc égale à celle de
cent rhinocéros, ou de cent hippopotames, ou de cent
éléphans; elle est égale à celle de cent quinze millions
de quelques uns des quadrupèdes qui appartiennent à
la famille des rongeurs et au genre des musaraignes.
Il faut multiplier les nombres qui représentent cette
masse, par ceux qui désignent une vitesse suffisante
pour faire parcourir à la baleine onze mètres par seconde.
Il est évident que voilà une mesure de la force
de la baleine. Quel choc ce cétacée doit produire !
Un boulet de quarante-huit a sans doute une vitesse
cent fois plusgrande ; mais comme sa masse est au moins
six mille fois plus petite, sa force n’est que le soixantième
de celle de la baleine. Le choc de ce cétacée est
donc égal à celui de soixante boulets de quarante-huit.
Quelle terrible batterie! et cependant, lorsqu’elle agite
une grande partie de sa masse, lorsqu’elle fait vibrer
* Voyez, dans Parlicle de la baleinoptère museau-pointu (baleine à bec) y
la description d’un réservoir d/air que l’on trouve au-dessous du cou de'
cette baleinoptère.