bandes. Rapprochés les uns des autres, lorsqu’ils forment
une sorte de légion au milieu du vaste océan,
ils ne nagent alors qu’avec lenteur, ainsi que nous
l’avons déjà dit. On s’approche avec précaution de leurs
longues files. Ils serrent leurs rangs et se pressent tellement,
que les défenses de plusieurs de ces cétacées
portent sur le dos de ceux qui les précèdent. Embarrassés
les uns par les autres, au point d’avoir les mou-
vemens de leurs nageoires presque entièrement suspendus,
ils ne peuvent ni se retourner, ni avancer, ni
échapper, ni combattre, ni plonger qu’avec peine; et
les plus voisins des chaloupes périssent sans défense
sous les coups des pêcheurs.
Au reste, on retire des narwals une huile qu’on a
préférée à celle de la baleine franche. Les Groenlandois
aiment beaucoup la chair de ces cétacées, qu’ils font
sécher en l’exposant à la fumée. Ils regardent les intestins
de ces animaux comme un mets délicieux. Les
tendons du narwal leur servent à faire de petites cordes,
très-fortes; et l’on a écrit que de plus ils retiroient de
son gosier plusieurs vessies, utiles pour la pêche *; ce
qui pourroit faire croire que ce cétacée a sous la gorge,
comme la baleinoptère museau-pointu, le rorqual et la
jubarte, une grande poche très-souple, un grand réservoir
d’air, une large vessie natatoire, quoiqu’aucun
pli de la peau n’annonce l’existence de cet organe.
Yoyez le Traité des pêches de Duhamel.
On emploie la défense, ou, si on l’aime mieux, l'ivoire
du narwal, aux mêmes usages que l’ivoire de l’éléphant,
et même avec plus davantage, parcé que, plus dur
et plus compacte, il reçoit un plus; beau poli, et ne
jaunit pas aussi promptement. Les Groenlandois en
font des flèches pour leurs chasses, et des pieux pour
leurs cabanes. Les rois de Danemarck ont eu, dit-on,
et ont peut-être encore, dans le château de Rosenberg,
un trône composé de défenses de narwals. Quant aux
prétendues propriétés de cet ivoire contre les poisons
et les maladies pestilentielles, on ne trouvera que trop
de détails à ce sujet dans Barlholin, dans Wormius,
dans Tulpius, etc. Mais comment n’auroit-on pas attribué
des qualités extraordinaires à des défenses rares,
d’une forme singulière, d’une substance assez belle,
qu’on apportait de très-loin, que l’on n’obtenoit qu’en
bravant de grands dangers, et qu’on avoit pendant
long-temps regardées comme l’arme toute puissante
d’un animal aussi merveilleux que la fameuse licorne?
En écartant cependant toutes ces erreurs, quel résultat
général peut-on tirer de la considération des
organes et des habitudes du narwal? Cet éléphant de la
mer, si supérieur à celui de la terre par sa masse, sa
Vitesse, sa force, et son égal par ses armes, lui est-il
comparable par son industrie et son instinct? Non : il
n’a pas reçu cette trompe longue et flexible ; cette
main souple, déliée et délicate ; ce siège unique de
deux sens exquis , de l’odorat qui donne des sensations