Lorsque les dauphins nagent en troupe nombreuse,
ils présentent souvent une sorte d’ordre : ils forment
des rangs réguliers ; ils s’avancent quelquefois sur une
ligne, comme disposés en ordre de bataille; et si quelqu’un
d’eux l’emporte sur les autres par sa force ou
par son audace, il précède s’es compagnons, parce qu’il
nage avec moins de précaution et plus de vitesse ; il
paroît comme leur chef ou leur conducteur, et fréquemment
il en reçoit le nom des pêcheurs ou desautres
marins.
Mais les animaux de leur espèce ne sont pas les seuls
êtres sensibles pour lesquels ils paroissent concevoir de
1’afFection ; ils se familiarisent du moins avec l’homme.
Pline a écrit qu’en Barbarie, auprès de la ville de Hippo
Dyarrhite, un dauphin s’avançoit sans crainte yers le
rivage, venoit recevoir sa nourriture de la main de
celui qui vouloit la lui donner, s’approchoit de ceux qui
se baignoient, se livroit autour d’eux à divers mouve-
mens d’une gaieté très-vive, souffroit qu’ils montassent
sur son dos, se laissoit même diriger avec docilité, et
obéissoit avec autant de célérité que de précision *.
Quelqueexagération qu’il y ait dans ces faits, et quand
même on ne devroit supposer, dans le penchant qui
entraîne souvent les dauphins autour des vaisseaux >
que le désir d’appaiser avec plus de facilité une faim
quelquefois très-pressante, on ne peut pas douter qu ils
* Pline, Ut. IX , cliaj). 48..
ne se rassemblent autour des bâtimens, et qu’avec tous
les signes de la cpnfîance et d’une sorte de satisfaction,
ils ne s’agitent, se courbent, se replient, s’élancent au-
dessus de l’eau, pirouettent, retombent, bondissent
et s’élancent de nouveau pour pirouetter, tomber, bondir
et s’élever encore. Cette succession ou plutôt cette
perpétuité de mouvemens vient de la bonne proportion
de leurs muscles et de l’activité de leur système
nerveux.
Ne perdons jamais de vue une grande vérité. Lorsque
les animaux, qui ne sont pas retenus, comme l’homme,
par des idées morales, ne sont pas arrêtés par la
crainte, ils font tout ce qu’ils peuvent faire, et ils
agissent aussi long-temps qu’ils peuvent agir. Aucune
force n’est inerte dans la Nature. Toutes les causes y
tendent sans cesse à produire dans toute leur étendue
tous les effets qu’elles peuvent faire naître. Cette sorte
d’effort perpétuel, qui se confond avec l’attraction universelle,
est la base du principe suivant. Un effet est
toujours le plus grand qui puisse dépendre de sa cause,
ou, ce qui est la même chose, la cause d’un phénomène
est toujours la plus foible possible; et cette
expression n’est que la traduction de celle par laquelle
notre illustre collègue et ami Lagrange a fait connoître
son admirable principe de la plus petite action.
Au reste, ces mouvemens si souvent renouvelés que
présentent les dauphins, ces bonds, ces sauts, ces circonvolutions,
ces manoeuvres, ces signes de force, de