la briser, la faire voler en éclats, percer le bord des
navires avec leur défense, le$ détruire ou les couler à
fond *. On a trouvé de leurs longues dents enfoncées
très-avant dans la carène d’un vaisseau par la violence
du choc, qui les avoit ensuite cassées plus ou
moins près de leur base. Ces mêmes armes ont été
également vues profondément plantées dans le corps
de baleines franches. Ce n’est pas que nous pensions,
avec quelques naturalistes, que les narwals aient une
sorte de haine naturelle contre ces baleines : mais on
a écrit qu’ils étoient très-avides de la langue de ces
cétacées , comme les dauphins gladiateurs ; qu’ils la
dévoroient avec avidité, lorsque la mort ou la faiblesse
de ces baleines leur permettoient de l’arracher
sans danger. Et d’ailleurs, tant de causes peuvent allumer
une ardeur passagère et une fureur aveugle contre
toute espèce d’obstacles, même contre le plus irrésistible
et contre l’animal le plus dangereux, dans un
être moins grand, moins fort sans doute que la baleine
franche, mais très-vif, très-agile, et armé d’une
pique meurtrière! Comment cette lance si pointue, si
longue , si droite, si dure, n’entreroit-elle pas assez
avant dans le corps de la baleine pour y rester fortement
attachée ?
Et dès-lors, quel habitant des mers pourroit ne pas
* Auplor de nalura rerum } apud Vincentium. X V I I , c a p . 12 0 .
Albertus, X X I V , p . 244 “■
V o y e z l ’o u v r a g e d u s a v a n t S c h n e id e r q u i a p o u r t i t r e , Pétri Artedi,
Synonymie, , etc, L ip s is e , 17^9*
craindre le narwal? Non seulement avec ses dents il
fait des blessures mortelles, mais il atteint son ennemi
d’assez loin pour n’avoir point à redouter ses armes.
Il fait pénétrer l’extrémité de sa défense jusqu’au coeur
de cet ennemi, pendant que sa tête en est encore éloignée
de trois ou quatre mètres. Il redouble ses coups;
il le perce, il le déchire , il lui arrache la vie, toujours
hors de portée, toujours préservé de toute atteinte,
toujours garanti par la distance. D’ailleurs , au lieu
d’être réduit à frapper ses victimes, il en est qu’il écarte,'
soulève, enlève, lance avec ses dents, comme le boeuf
avec ses cornes, le cerf avec ses bois, l’éléphant avec
ses défenses.
Mais ordinairement, au lieu d’assouvir sa rage ou
sa vengeance, au lieu de défendre sa vie contre les
requins , les autres grands squales et les divers tyrans
des mers, le narwal, ne cédant qu’au besoin de la
faim, ne cherche qu’une proie facile : il aime, parmi
les mollusques, ceux que l’on a nommés planorbes; il
paroît préférer, parmi les poissons, les pleuronectes
pâles. On trouve dans Willughby, dans Worm, dans
Klein, et dans quelques autres auteurs qui ont recueilli
diverses opinions relatives à ce cétacée, qu’il n’est pas
rebuté parles cadavres des habitans des mers, que ces
restes peuvent lui convenir, qu’il les recherche comme
alimens, et que le mot narwhalvient de whal, qui veut
dire baleine, et de nar, qui, dans plusieurs langues du
Nord, signifie cadavre.