
C H A P I T R E X X .
M O N T E V I D E O .
C e fut après un accident funeste qui altéra mes collections et faillit
m’en priver entièrement, après un séjour de trois mois environ sur les
terres stériles des Malouines, que nous abordâmes le continent américain
à Montévidéo.
La vue de ce nouveau pays étoit peu propre à ranimer notre zèle
abattu , à changer les idées sombres et tristes qui nous dominoîent, à
réveiller cette activité qui nous avoit fait braver tant de dangers, supporter
tant de fatigues, tant de privations.
Une rade demi-circulaire, située sur la rive gauche de la Plata, se
termine au large par deux pointes inégales : la première (à l’Ouest)
est formée par ia base déclive d’une montagne stérile, arrondie, haute
de deux à trois cents toises au plus, mais q u i , à raison de l’aplatissement
du so l, domine tout le pays ; la seconde ( à l’Est) est basse ,
composée de roches tout-à-fait nues; c’est sur cette pointe qu’on a bâti
la ville de Montévidéo.
Le fond de la m e r , dans cette rade , est de vase et destitué de plantes
marines; il paroît en être de même du rivage, ou du moins des parties
que j’ai pu v is ite r , lesquelles sont également dégarnies de ces productions
, ce qu’il faut sans doute attribuer au mélange des eaux douces du
fleuve avec celles de l’Océan.
Le sol de ce pays est de roches granitiques composées de corps
cristallisés, de nuances, de formes et d’agrégations diverses, imparfaitement
unis entre e u x , parmi lesquels on distingue une grande
quantité de mica vitreux, très-brillant, en lames épaisses d’une ligne
à-peu-près et larges de six lignes à un pouce et souvent plus.
C e terrain, en c e la , a beaucoup d’analogie avec celui des îles Malouines;
et chose non moins remarquable, les couches qui le composent
m’ont paru avoir une direction semblable à celles qui sillonnent les
bords et le fond de l’immense baie Française, c’est-à-dire, de lE . S. E.
à l’O. N. O. , à-peu-près.
Ces roches sont coupées par des bancs de schistes ardoisés, noirs,
bancs qui n’ont pas moins de 25 pieds de largeur et qui s’étendent à
l’infini en suivant la direction des couches.
Si l’on excepte les lieux b a s , humides, situés dans le N o r d , vers le
fond de la rade, où se trouvent des jardins arrosés par les eaux impures
d’un foible ruisseau, les dehors de Montévidéo, a plusieurs milles
à la rond e, sont de la plus grande stérilité.
A peine trouve-t-on çà et l à , sur cette terre a r id e , quelques productions
herbacées, telles que des solanées^ des graminées, des cypéracées,
des synanthérées., des géraniacées, et spécialement, parmi les
plantes de cette dernière famille, un oxalis à pédoncules uniflores et à
grandes fleurs d’un jaune foncé comme celles de Yhelianthemum vulgare.
Les végétaux cultivés dans ies jardins se composent de pommiers,
de poiriers , de pruniers, de pêchers, et de toutes nos plantes potagères.
L ’eau de ce pays est ra r e , impure, trouble et souvent lactescente ;
elle sourd lentement des terres, et coule dans des puits pratiqués au fond
des sinuosités du sol.
Ces sortes de citernes, de forme ordinairement circulaire et plus ou
moins profondes, sont assez nombreuses aux environs de la ville : on
y trouve des végétaux aquatiques fort remarquables ; une marsiléacée
[a ip lla ) , et une autre hydrophyte [hydrodictyon), qui comblent en peu
de temps ces réservoirs ainsi que toutes les excavations humides des
rochers.
La première [axplla magellanica) est disposée en gazons très-denses,
analogues à ceux que forme la sphaigne à larges feuilles [sphagnum lati-
folium) de nos tourbières artificielles : la seconde appartient au genre
hydrodictyon, et se distingue par des expansions foliacées réticulaires
larges de six à dix-huit pouces, à mailles irrégulières (trigones, tétra-
gones, pentagones et hexagones), disposées en couches superposées et
réunies entre elles de manière à représenter des cellules dont les cloisons
sont de formes et de dimensions diverses ; cette singulière production
Voyage de l ’ Uranie. — Botanicjue. I ^