
V O Y A G E A U T O U R D U M O N D E ,
nature de leur s o l, quoique parfois il montre le grès à nu : les nuées
glaciales dans lesquelles ces végétaux demeurent fréquemment plongés,
et qui ralentissent ou arrêtent en eux la circulation de la sève ainsi que
leurs autres fonctions; les vents impétueux qui les pénètrent sans cesse,
qui les frappent, les froissent, les brisent et finissent quelquefois par les
déraciner : tels sont, je pense, les véritables obstacles à leur développement.
Le froid que nous avons éprouvé dans ces nuages, les arbres nombreux
que nous avons vus porter les marques des outrages de ces ouragans
, attestent assez la justesse de cette conjecture.
Il ne s en est probablement fallu que de peu de jours que nous
fussions ies spectateurs et peut-être les victimes de l’une de ces tourmentes
: en e ffe t, nous v îm e s , le troisième jour de notre vo y a g e , non
loin de Jamieson -c re e k , dans le fond d’une vallée, des milliers d’arbres
déracinés par le vent et brisés sur la terre.
Cependant, si la plupart de ces végétaux ont un port moins agréable ,
moins majestueux, si leurs rameaux et leurs feuilles manquent souvent
d’élégance et de fraîcheur, ils compensent bien ces désavantages par le
luxe inconcevable de leur reproduction. Les plantes, les arbres mêmes,
pressés pour ainsi dire les uns contre les autres, se font admirer surtout
par ia diversité des genres et des espèces.
On trouve pourtant, dans quelques endroits privilégiés, sur le penchant
des collines, ces beaux casuarina, ces mimosa à fleurs dorées, et
sur-tout ces immenses eucalyptus qui seuls ordinairement peuplent et décorent
les plaines de cet admirable pays.
On observe parfois ici ce qui se remarque fort souvent en Europe ;
quelques espaces particuliers, quelques terrains, sont peuplés de végétaux
d une meme famille, ou du moins d’un petit nombre d’espèces qui y
dominent d’une manière remarquable.
Il n’est pas rare de rencontrer en France beaucoup de forêts naturelles
composées de chênes, de pins , de châtaigniers , &c. ; de même on trouve
ici des cantons souvent d’une grande étendue qui ne comptent guère en
végétaux de haute tige que des eucalyptus, des casuarina, des callitris,
des mimosa, des banksia , &c.
C ette remarque, la deuxième de ce genre que j’aie été à même de
faire pendant le v o y a g e , n’est pas la seule qui m’ait fait porter mes
pensées vers ma belle patrie. Les sites pittoresques des bords de la
rivière Nepean, de la rivière de C o x et de ia rivière Macquarie, les plaines
d’Ému, de Campbell et de Bathurst, m’ont souvent rappelé les bords
rians de la Loire et de ia Charente, et ies immenses prairies qu’elles
arrosent et fécondent.
Les arbres fruitiers apportés d’Europe ont parfaitement réussi au Port-
Jackson et dans les autres établissemens de cette région; aussi maintenant
y trouve-t-on des pommes, des poires, des prunes, des abricots,
et sur-tout des pêches, dans la plus grande profusion.
La vigne seule paroît éprouver des difficultés, non dans son développement,
mais dans l’acte de la fécondation, et par suite dans la maturation
de ses fruits; ce qu’il faut attribuer soit aux atteintes malfaisantes
d’un insecte [coccus) ou d’un champignon [u r edo l), comme on le croit
généralement à S ydn e y , soit p lu tô t, selon m o i, à l’inconstance habituelle
du c lim a t, et sur-tout à l’extrême différence de température entre les
jours et les nuits.
Les An g la is , si experts en fait de colonies, ne se sont point bornés
à ces richesses destinées à accroître les jouissances de la vie sensitive ;
le chêne, cet antique habitant de nos forêts, s’élève maintenant à côté
de {’eucalyptus, lui dispute déjà la souveraineté des plaines, et, sous le
rapport de l’utilité, l’emportera bientôt sur lui comme sur les autres
grands arbres de ces régions.
Quoiqu’il soit superflu pour la science que j’entre ici dans quelques
détails sur la nature d e là végétation de la Nouve lle -Galles du S ud,
végétation si bien dévoilée par les écrits des Smith, des B an ks , des
Labillardière , des Brown , & c., je n’hésite cependant pas , dans l’intérêt
de mes jeunes collègues q u i, comme m o i, pourroient visiter ce pays
avant de s’être nourris des préceptes de ces savans, à donner un léger
aperçu sur l’ensemble, la nature et ies modifications des plantes qui
croissent dans cette partie du monde.
Le Port-Jackson, où nous abordâmes, offre de toute part des végétaux
maigres et cependant fort serrés, ce qui tient à la nature de son terrain
Voycigt de l ’ Uranie. — Botanique. I ^
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