
V O Y A G E A U T O U R DU M O N D E .
CHA P ITR E V.
I L E - D E - F R A N C E .
Q ue dire de ce charmant pays! J’ai perdu les riches collections que
j’y avois rassemblées : à lui seu l, il m’avoit offert presque autant de fougères
et de cryptogames en général ( les algues exceptées ) , que toutes
les autres relâches du voyage ; je rapportois de nombreuses plantes nouve
lle s, des genres ambora, coffea, hmodorum, dombeya, &ic.
Mais j’éprouve le besoin d’exprimer ma reconnoissance à l’un des naturalistes
distingués du Voyage aux Terres australes, à M. Delîsse, actuellement
pharmacien dans cette ancienne colonie française, ainsi qu’à son
estimable famille (M . Esnouf, aux Pamplemousses), chez qui j’ai reçu
la plus agréable hospitalité, et tous les moyens, toutes les facilités désirables
pour l’exploration de leur île. Je dois aussi un témoignage public
de ma gratitude à M. Néraud, actuellement avocat à la C h â t r e , mais
alors habitant de l’Ile-de-France, qui s’étoit dépouillé pour m o i, dans l’intérêt
des sciences, de la plus grande partie de ses collections, et notamment
de toutes les plantes nouvelles qu’il avoit recueillies pendant un
séjour de plusieurs années. Toutes ces richesses ont été ensevelies dans
les eaux des îles Malouines (i) !
Heureusement, les productions de cette terre sont aujourd’hui peut-
être aussi bien connues que celles d’E urope, grâce aux savantes recherches
des du Petit-Thouars, des Commerson, des Bory de Saint-Vincent,
des Michaux, des Néraud, des Stadman, et de beaucoup d’autres naturalistes
de tous les pays ; la plupart des espèces nouvelles que je re-
grettois, sont actuellement en France, déposées par M. Néraud dans
la belle collection de M. Benjamin Delessert.
Réduit à quelques souvenirs sur les végétaux de l’Ile-de-France , je
signalerai pourtant Yambora à fruits ballonnés, c reu x , et si remarquables
(i) Les collections de l’ IIe -d e -F ran c e , où nous avons passé trois m o is , éto ient, de tout
le v o y a g e , les plus nombreuses et les plus belles.
par leur organisation; le bois-noir, mimosa lebbec , dont on forme des
plantations utiles, et qui supplée, sans le remplacer, le tilleul de nos
jardins et de nos places publiques. Le mimosa farneiiana infeste tous
les lieux incultes ; le foetidia, grand et fort bel a rb re , vit presque toujours
solitaire au milieu des champs ; le bois d’ébène [diospyros] abonde
maintenant sur les montagnes; le bois d’éponge [gastoiua), le bois de
cannelle [laurus cupularis), le bois de chandelle [dracrena), enfin des
bursera, des coccocipsilum, des poupartia, & c . , forment la masse de la
végétation des montagnes ; tandis q u e , sur le r iv a g e , ce sont des scævola
[s. lohelia) , des suriana [s. americana), des pemphis [p. acidula), des
rhiipphora, des hruguiera, et la plupart des autres végétaux ligneux et
herbacés qui abondent sur les côtes du continent indien, et que nous
retrouverons sur le littoral de toutes les îles de l’Océanie occidentale ,
auxquelles nous pensons qu’ils appartiennent aussi originairement.
On distingue encore parmi les plantes herbacees de cette î l e , le vétiver!
[vetiveria), dont on borde les champs de cannes a sucre et de mais ,
et parmi les exotiques, le campuleia, Aub. du P etit-Thouars, de la famille
des pédiculaires et voisin des genres huchnera e tpiripea, petite plante
parasite, remarquable par le rouge v i f de ses fleurs et par son extrême
multiplication, qui cause les plus grands dommages aux récoltes et
particulièrement à celles du maïs ; le barleria cristata, à fleurs blanches,
objet d’un culte ancien chez les Malabares et les Lascars , et que quelques
tribus de ces peuples, exilées à l’IIe-de-France, cultivent encore avec un
soin religieux sur tous les tombeaux de leurs vierges. Je ferai observer
sur-tout, comme devant former plus tard le sujet de recherches particulières
, que cette île compte un grand nombre de végétaux ligneux à
feuilles polymorphes, tels que le quivisia heterophylla ; le fagara hetero-
phylla, Lam. [lanthoxillum heterophyllum, D, G .) ; le ludia heterophylla, le
teiiia [securinega), \e clitoria heterophylla, &c.
M. Néraud , à qui je me suis adressé depuis que cette note est
faite, a bien voulu me communiquer les renseignemens précieux que
je transcrirai bientôt littéralement : ces renseignemens sont du plus haut
intérêt, et ils .suffiront, je pense, pour assigner à leur auteur le rang
distingué qu’il doit occuper parmi les naturalistes.