
CHA P ITR E XV.
T IN IAN .
Si l’on en juge par son étendue, et sur-tout par ies restes de monumens
anciens qui la recouvrent, l ’île T in ia n , située vers la partie
méridionale de l’archipel des Mariannes , en fut aussi jadis un des points
les plus populeux et les plus importans.
Cependant, tout doit porter à penser que cette île est d’une époque
bien postérieure à celles de R o ta , de Guam , de Seypan, et de la plupart
des îles qui composent ce groupe. Elle est en effet moins haute que les
autres, et nous croyons avoir acquis la preuve qu’elle doit entièrement
son origine à la diminution des eaux de la mer.
Nous avons déjà parlé des montagnes madréporiques : celle qui avoi-
sine l’aiguade d’Anson , à T in ia n , nous a paru la plus élevée de l’île ;
son sommet est entièrement formé de calcaire marin ; et cette preuve
irrécusable atteste que l’île a été jadis totalement couverte par les eaux
de l’Océan.
C e fait se rattache à des idées que nous avons déjà émises précédemment
, et je n’ai pu m’abstenir de le relater, pour justifier les conséquences
que nous avons tirées de la constitution des plateaux madréporiques
observés à T im o r , à R aw ak , à Guam, et sur-tout à Rota.
A Tinian comme à Guam , les forêts ont presque entièrement disparu.
Elles firent place d’abord à des champs cultivés : mais ces champs,
abandonnés aujourd’h u i, ont perdu l’aspect que la main du laboureur
leur avoit imprimé; envahis par une foule de broussailles, ils n’offrent
plus que des halliers q u i, aussi comme à Guam , se composent de
psidium, de limonia , de citrus, de triumfetta , de sida , de gossypium, de
waltheria, & c . , enlacés par des guilandina , des convolvulus , des ahrus,
des cucumis [ pic6U'u5o. ] , et sur-tout par le dioscorea alata , le convolvulus
la ta ta s , &c.
Les animaux domestiques que l’homme y avoit apportés, les boeufs,
les porcs et les gallinacées, revenus de leur côté à l’état de nature, s’y
multiplient maintenant en liberté.
Pour retrouver ia trace des êtres animés qui les premiers occupèrent
cette île , l’observateur est obligé de gravir jusqu’au sommet rocailleux
des montagnes. L à , à l’ombre des arbres indigènes que l’aridité du sol a
protégés contre la destruction, se sont réfugiés les colombes kurukuru,
dussumier, pampusan et érythroptère , plusieurs martin-chasseurs, des
merles, et particulièrement le mégapode la Pérouse ou poule de Tinian,
q u i, refusant toute alliance étrangère, a suivi les antiques végétaux retranchés
dans ces lieux.
Quinze ou vingt Mariannais, exilés en quelque sorte de Guam,
habitent seuls aujourd’hui au milieu des ruines de Tinian ; ils sont
chargés de faire la chasse aux boeufs et d’en sécher la viande. Livrés
aux charmes de l’oisiveté, non-seulement ces hommes abandonnent aux
soins de la Providence les productions de la terre, mais ils s’occupent
à peine de rendre praticables les étroits sentiers qui, à travers les bois
dont la régénération s’opère de jour en jo u r , conduisent à la grande
lagune , lieu habituel de leur chasse , et vers quelques touffes d’arbres-
à-pain et de cocotiers pour ainsi dire oubliés au sein de ces solitudes.
Les plantes qui composent ces fourrés épais se multiplient avec une
rapidité prodigieuse; ce qui démontre assez que le terrain y est d’une
excellente qualité. Par-tout ailleurs, ce seroit un précieux avantage;
mais ic i, cette active reproduction des végétaux fatigue l’indolence des
Mariannais. Souvent, il est vra i, cernés par eux jusque dans leurs habitations
et repoussés sur le rivage, ils finiroient par être chassés de l’île ,
si de temps en temps ils n’employoient le feu pour s’en délivrer.
D ’après les renseignemens qui nous ont été donnés, l’eau douce ne se
trouve à Tinian que dans les deux lagunes ; encore l’une d’elles est entourée
de broussailles tellement enlacées que les animaux ne peuvent
en approcher. Forcés de venir s’abreuver à la grande lagune, ils tombent
aisément sous les coups des chasseurs. Mais ces détails appartiennent à
la partie historique du voyage.
Cette dernière lagune est un marais sinueux, rempli d’eau croupissante.
Elle se prolonge dans la direction du Nord au Sud, et sépare la plaine