
En effet, ces vents déchaînés qui enlèvent des maisons, déracinent
des arbres et renversent des forêts entières, ont une si grande vitesse ,
qu’en la portant à i o ou i 2 lieues à l’h eure, on ne s’éioigneroit pas beaucoup
de la vérité. Aussi, dans leur durée habituelle de trente-six à
quarante-huit heures, traversent-ils des régions entières, en marquant
leur passage par tous les genres de destruction.
Mais n’invoquons point ici le témoignage de ces fléaux trop communs
aujourd’hui ; et relativement aux gros fruits , peut-être d’une époque second
a ire, tels que ceux des cocotiers, des baquois, des jambosiers, & c . , laissons
aux hommes, quelle que soit leur origine, le soin de les y avoir transportés.
Pour les graines de moyenne grosseur que nous supposons y avoir
été amenées par ies vents, c’e s t , hâtons-nous de ie d ire , bien moins à
l’action de l’air agité qu’à une force particulière des nuages qu’il faut
l’attribuer. Cette assertion, qui se rattache aux phénomènes de l’électricité,
n’est pas la seule qu’on pourroit émettre à l’appui d’une pareille
théorie ; mais pour ne point me jeter dans le vague des explications
systématiques, j’abandonne ce sujet, sur lequel je me suis peut-être déjà
trop étendu. La route que j’indique ne tardera sans doute pas à être
parcourue; elle conduira, j’espère, à des résultats plus satisfaisans que
ceux qui ont été obtenus jusqu’à ce jour.
Observons de nouveau pourtant, à l’appui de notre supposition et
dans le cas où elle seroit jugée digne de quelque c réd it, qu’en effet le
point des îles Sandwich où les nuages viennent ordinairement se condenser
, est précisément celui où la lave s’est décomposée en premier
iieu, et où conséquemment la végétation a commencé, pour s’étendre
ensuite au-dessus et au-dessous. Il est donc vraisemblable que la surface
entière de ces roches, soumise à une décomposition successive et
continue, sera couverte un jour par la terre végétale, et n’offrira plus,
de même qu’on l’observe déjà dans les îles occidentales de cet archipel f i),
qu’un vaste champ de culture qui s’étendra jusqu’au bord de la mer.
de ces ouragans, les espaces qu’ ils ont parcourus, & c . 1 Je pense que des renseignemens positifs
sur ce point seroient très-favorables au développement des théories qui se rattachent à la
géographie des plantes.
( i) D ’après les navigateurs, et les renseignemens qui nous ont été communiqués par plusieurs
personnes dignes de foi.
Maintenant, de quelles terres anciennes ies graines sont-elles venues?
On pourroit répondre que c’est de toutes, puisqu’on y trouve des plantes
de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie , de la Nouvelle-Hollande sur-tout,
et peut-être aussi de l’Afrique. Il est inutile de dire que cette végétation
des montagnes doit avoir de nombreux analogues sur les points les
plus élevés des îles du Grand-Océan.
De toutes ces observations il résulte donc ce qui suit :
1 .“ Les plantes des îles Sandwich ont manifestement deux origines.
2.° Celles des rivages, précédemment désignées sous le nom de littorales
océaniennes ( ammophiles ) , doivent provenir des archipels situés
dans l’Est de l’Asie.
3.° Elles ont pu y arriver, soit par l’impulsion des flots de la m e r ,
soit par les premiers navigateurs insulaires.
4.° Les plantes de la région montagneuse sans cesse baignée par les
nuages (néphélophlies) ont dû y être déposées originairement par les
courans aériens et sui'-tout par les vapeurs électrisées.
5.° Les végétaux de ces régions supérieures ou des plages qui pénètrent
dans cette partie brûlante de la montagne , partie que nous
avons nommée torride, y éprouvent insensiblement des altérations
diverses , des changemens particuliers qui paroissent se perpétuer ensuite,
du moins tant que ces végétaux restent dans les mêmes circonstances (i).
Toutefois cependant, sous le masque qui les couvre, on reconnoît encore
quelques-unes des formes qu’ils avoient dans l’origine.
C e phénomène de transformation n’est point particulier aux îles
Sandwich; on le retrouve dans toute la Nouvelle-Hollande et sur
quelques terres voisines de ce continent. II se reproduit encore d’une
manière très-prononcée à i’IIe-de-France et à l’île Bourbon, ainsi que nous
l’avons précédemment annoncé ; et tout porte à croire qu’il existe aussi
dans beaucoup d’autres lieux soumis aux mêmes influences équatoriales
et météorologiques.
La crainte de me répéter trop souvent et de m’appesantir pius qu'il
ne faut sur ces fa its, m’empêchera d’établir ici les nombreux rapports qui
(i) De s phénomènes analogues, mais produits par une cause opposée, ne peuvent-ils pas
avoir lieu au-dessus des nuages, là où commence la région alpine!