orateur. L ’influence d’un cacique sur sa propre tribu et sur
les chefs des nations voisines dépend en grande partie de son
éloquence; ca r le seul privilège tju’il jiossède en temps de paix se
borne à donner son avis. Son pouvoir est si limité c|u’on peut
dire cju’il n’en a que l ’ombre. Il ne peut rien exécuter sans l ’assentiment
de sa tribu. C ’est à lu i de l ’assembler et de lu i soumettre
ses desseins; c’est à lui de la convaincre cle la nécessité
cle faire la guerre ou la pa ix, de lu i démontrer les avantages
q u ’il y aurait à combattre telle nation rivale et de l’anéantir ou
de s’allier à elle. C’est alors cju’il a besoin de déployer toute son
éloquence pour cajJtiver fortement l ’attention de son auditoire
et toucher toutes les passions; car à la tribu elle-même appartient
le droit cle ratifier ou de rejeter les projets soumis à son
examen. Si les propositions du cacique sont accejatées, quel cjii’en
soit l’o b je t, la seule adhésion volontaire de la trib u a force de
lo i , et cet acte libre suffit pour que chaque individu tienne à
son engagement avec une sorte de foi re lig ieu s e , jusqu’à l ’entière
exécution du projet voté. Lorscjue le ca c iqu e , conseillant
la g u e r r e , a la simple majorité pour lu i , les membres de la tribu
qui ont émis une opinion contraire dans le conseil ne jieuvent
en aucune manière être forcés cle se soumettre à la décision de
la majorité. Ils sont libres de ne point prendre jiart à la g u e r re ,
chacun étant absolument maître de ses jiropres actions tant
cju’il ne porte pas préjudice à la personne ou à la propriété d’un
individu de la société. Mais dans ces cas, où les 0])inions sont
partagées, les prêtres viennent par leur influence ramener les
ojijiosants. Bardes insjiirés, ils entonnent aussitôt des chants
gu e r r ie r s , et dans leurs hymnes jirophéticjues, réveillant les
passions de leurs auditeurs, que la gloire des comba ts, l’honneur
attaché aux braves ne trouvent jamais insensibles, ils
électrisent tellement ces ames toutes g u e r r iè r e s , que pas un
Indien n’est assez insouciant de sa réputation pour refuser de
faire partie d’une expédition militaire qui lui promet toujours
une ample moisson de lauriers et de butin.
Une chose remarquable chez lA r au c an ien , qui au milieu de
sa tribu ue connaît d’autre jo u g que celui de sa volonté, c’est
tju’une fois engagé dans une g u e r r e , il reconnaît à son capitaine
ou à son cacique le jiouvo ir de le commander et il obéit
en aveugle à ses ordres. Devenu alors traitable et soumis, on ne
le voit jamais pousser la moindre plainte contre son c h e f , dont
l ’autorité en campagne est illimitée. Mais au re tou r de l ’exjié-
d itio n , il recouvre son entière liberté. Les guerriers, une fois le
licenciement opéré, reprennent leur esprit d’indépendance, et
avec toute l ’arrogance du caractère sauvage, ils examinent alors
la conduite de leur cacique. S’ils ont des motifs de jilainte contre
lu i , ils ont le droit cle le mettre en ju g em e n t , et s’ils reconnaissent
qu’il a commis pendant l ’exercice de son absolu jiouvoir
des abus cjui leur aient été p réjudiciables, ils s’é rigent en conseil
souverain pour le punir. On voit par là que le don de la jiarole
doit être le premier attribut d’un ch e f, car s’il manque d’éloquence,
il lu i sera bien difficile d’exercer sur ces esprits tu rb u lents
un Jiouvoir sans bornes qui ne soit sujet à contestation.
La langue araucaiiienne est remarquable par son imperfection
et sa pauvreté ; c’est une conséquence de la grossière ba r barie
des jienjiles cjui la jiarlent. Elle est au reste en tout
semblable aux dialectes des peuplades sauvages, cjui ne jieu-
vent exprimer la jilus sinqile idée que par la réunion de jilu-
.sicurs mots. Cejienclant les chefs discourent dans le conseil
avec une telle vohdiilité qu’à les voir ne jamais chercher l’expression
nécessaire, ou jiourrait supposer qu’ils ne doivent cette
facilité qu’à la richesse du langage; si l ’on ne savait que la rapidité
avec laquelle ils débitent leurs harangues est commandée
Jiar l ’usage. Cette manière cle s’énoncer est tout-à-fait différente
de celle de la conversation ordinaire. Les discours des guerriers