N o v em b re
1822.
CHAPITRE YII.
SÉ,IÜUR AUX ILES MALOUINES.
I l fout avoir parcouru, comme nous, l’Océan Atlantique dans
ses différentes zones, pour bien sentir avec quelle force el
quelle ra|)idité le marin est plus que tout autre voyageur sujet
à éprouver des sensations contraires. Il y a un petit nombre
de jours qu e, placés sur les belles rives du Bré sil, contemplant
d’épaisses forêts, nous errions encore sous des bosquets touffus
d’arbres divers chargés de fruits délicieux et de fleurs odorantes,
oii des oiseaux revêtus d’un plumage chamarré des plus vives
couleurs exaltaient notre imagination par leurs chants harmonieux
et variés; et maintenant nous voici comme exilés
dans un pays où la vue n’est arrêtée que pa r des monts
dénudés, où nos pieds ne foulent que des plaines immenses
semblables [lar leu r uniformité aux vastes pampas de l’Amér
iq u e , où. nos oreilles ne sont frajipées que du sifflement des
vents déchaînés et des cris rauques et jierçants des oiseaux et
des amphibies c[ui nous entourent.
Malgré le mauvais temps qui n’eut presque pas d’interruption
durant notre séjour à la baie F rança ise , nous poursuivîmes sans
relâche nos tra vaux scientifi(|ues ; et dans les diverses courses
([uc nous fîmes, nous parcourûmes les îlots de la rade et l’intérieur
de l ’ile. Un sentiment d’intérêt bien naturel pour nous
q u i, â la suite du naufrage de la corvette l ’Uranie, avions séÉ
jonrné trois mois entiers sur cette terre abandonnée, dirigea
d abord nos pas vers le lieu qui nous avait servi de refuge. A h ! le
souvenir d’un malheur passé a scs ch arm e s, et les lieux qui en
furent les témoins ont pour l ’homme un atti-ait particulier. Excité
par une cmiosité inex]irimable, source de mille émotions
diverses, nous nous complûmes long-temps à presser de nos
pas la partie entière de la côte où le camp avait été établi ; et tous
les points qui simulaient la place où les tentes avaient été dressées
devinrent l’objet de nos remarc[ues et de nos réflexions,
læs débris de la corvette avaient presque entièrement disparu
sous le sable de la partie supérieure de la plage oû la violence
de la mer pendant les coups de veut d’Est avait dû les trans-
[lorter. Mais les parties saillantes que la vue pouvait apercevoir
portaient les marques distinctes du feu et de la liaclie ; ce qui ne
nous étouna p o in t, en nous rappelant le nombre des baleiniers
qui fré([ucntent ordinairement ces parages, et surtout celui q u i,
comme une h a rp ie , était arrivé sur le lieu du naufrage peu de
jours avant que l ’équipage de l’U ranie s’éloignât des iles Malouines.
Tontes les caronades qui étaient encore çà et là sur la grève
présentaient les boutons de culasse brisés ; preuve évidente que
les avides baleiniers n’ayant pu les emporter, n’avaient pas négligé
de les détruire. La vue ne rencontrait partout que des
débris, des lambeaux de tentes et de vieilles bardes; partout le
camp était jon ch é des ossements des animaux qui avaient servi
de nourriture aux naufrages. Ce théâtre d’une Infortune récente
avait uue teinte de désolation que rembrunissaient à nos
yeux l’aridité du site et l’état dn c ie l , f|ui était sombre et p lu vieux
an moment même oii nous le visitâmes. Toutefois il avait
pour nous nu attrait indéfinissable, et il laissa dans notre
ame une im|iression de vague mélancolie que nous conservâmes
long-temps après notre départ des Malouines.
M. d’U rv ille , en explorant le pays sons le rapport botanique.
Voyage de la Coquille. — Part. hist. j g
N o vem liiv
1822.