J a n v ier
1823.
CHAPITRE X.
SÉJOUR A LA CONCEPCION.
L e le n d em a in , d è s q u e le jo u r v in t é c la ir e r les riv e s de la
b a i e , n o s y e u x e n p r o lo n g è r e n t tr i s tem e n t le c o n t o u r , c a r ils
r e n c o n tr è r e n t p a r to u t l ’im a g e d e la s o litu d e e t de la d é so la tio n .
Q u e lq u e s p iro g u e s d é la b ré e s e t des p ê c h e u r s d é g u en illé s se
m o n t r a i e n t s u r le r iv a g e ; les m a is o n s d e T a lc a h u a n o a p p a r a is s
a ie n t d a n s u n é ta t de d é g r a d a tio n d iffic ile à d é c r i r e , e t d a n s
ses ru e s s ile n c ie u s e s , o n v o y a it e r r e r le s d é b ris de sa p o p u la tio n
so u s la liv r é e d e la p lu s e x trêm e in d ig e n c e ; le lo n g d e la cô te
s’é le v a ie n t ç à e t là de v é r ita b le s h u tte s , s u r le s e u il d e sq u e lle s on
d is tin g u a it assises d e s fem m e s q u i , la tè te ex p o sé e a u x r a y o n s
d u s o le il, s’a id a ie n t m u tu e llem e n t à n e tto y e r e t à p e ig n e r le u rs
c h e v e u x -. à la m a n iè r e d o n t elles s’a c q u i tta i e n t d e c e tte p a r tie
d e l e u r to ile tte e t a u c o s tum e d o n t elles é ta ie n t a c c o u tr é e s , ou
e û t d it q u e l’é ta t s a u v a g e a v a it su c c éd é à la c iv ilis a tio n e sp a g
n o le im p o r té e d ’E u ro p e d e jiu is lo n g -tem p s .
Et cependant des collines verdoyantes, des bouquets de bois
charmants, des jardins , des vergers , dont le terrain (¡uoique
ru in é , se parait encore de mille fleurs sauvages, annonçaient
partout un pays fertile ; et un ciel magnifique couvrait de tout
son éclat ce vaste paysage , où élaxent ensemble déjiloyées la r i chesse
et la pauvreté. Hélas ! la faux des révolutions avait déjà
passé sur cette belle con tré e , et à l’époque même de notre
séjour on l’a iguisait encore au nom de la liberté.
Ce premier couji-d’oeil sur une terre oû chacun avait compté
se dédommager des fatigues de la traversée du cap Horn ne
promettait rien d’a g réab le , et personne n’espérait X|u’un séjour
en apparence si triste pût nous offrir de nombreuses distractions.
Aux yeux de tout m a r in , quelle chaumière n’embellirait
pas la ¡irésencc d’une jolie femme ? Ce fut en cherchant à goûter
le plaisir de la promenade fjue nous vîmes celles que rcnferm.iit
ce village désolé, e tn o u sd iim e s à notre qualité d 'étrange r, de
Français su rtou t, le bonheur d’être admis dans leur agréable
société.
Notre première visite fut, suivant l ’usage, adressée aux anto-
l’ités du lieu. Le commandant de T a lcahu an o , le capitaine du
port, nous accueillirent avec bienveillance et s’empressèrent de
nous être utiles en tout ce qui avait rapport aux travaux de notre
mission; mais leurs maisons mesrjuines et désertes é taient fa sy le
de la tristesse et de l’eimiii. Dévorés Tmi el l ’autre de l ’ambition
du pouvoir, ces deux officiers xie s’occupaient que d’intrigues
politiques, et leur caractère sombre e t tracassier leur avait aliéné
le coeur des halxitants, c[ul ne conservaient avec eux que des raji-
p or tsde pure nécessité. Nous reçûmes du |ietit nombre des ¡xrin-
cipales familles qui vivaient à Talcahuano un accueil plein de
|irévenance et de cordialité. C’est dans leurs soirées, remarquables
par la simplicité de la ré c ep tio n , l’affabilité et l’amalii-
lité toute natxu’elle des jolies pei’sonnes qui les composaient,
(|ue nous avons passé les instants les jxlus agréables de la rourle
i-ehiclie que nous avons faite dans la lade de ia Concepcion.
Nous rencontrâmes ici un vieillard qui avait été témoin, en 1786,
du passage de l’expédition de notre infortuné ],a Pérouse; il se
rappelait avec un v if enthousiasme les circonstances jirincijiales
(|ui avaient marxjné le séjour de cet ilhisti-e navigaleur à une
xipoquc plus heureuse; il n’avait pas oublié surtout le grand
dhier que La Pérouse donna à son éxjuipage, an(|uel assistèreni
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