CHAPITRE VI.
TRAVERSÉE DE SANTA-CATHARINA AUX ILES MALOUINES.
Le 3o o c to b re , dans la m a tin é e , nous sortîmes de la baie de
Santa-Catharina et nous nous dirigeâmes vers les îles Malouines.
Les observations du pendule et du magnétisme que nous nous
proposions de faire à cette extrémité de l ’Océan a u s tr a l, nous
décidèrent à nous y rendre dire c temen t, afin de profiter de la
belle saison de ces parages q u i était déjà avancée.
A 4o milles environ dans le Sud-Est de f ile Santa -Cathar ina ,
nous rencontrâmes un vaste espace de mer rougeâtre. Plusieurs
seaux d’eau que nous y puisâmes, nous montrèrent une poussière
impalpable rouge, au milieu de laquelle nageaient de petits
globules de même couleur. Observés à la loupe , ces petits g lo bules
se présentaient sous forme d’oeufs linéaires d’où s’échappaient
des crustacés microscopiques d’uue ténuité et d’une agilité
extrêmes'. Ainsi s’effectuait sous nos yeux la création de
’ Ces animalcules ne sont pas toujours d’une telle ténuité qu’on ne puisse observer
leurs formes et leurs mouvements sans le secours de la loupe ou du microscope.
Sébald de Weerd , en mars 16 9 9 , vit auprès de Rio de la Plata la mer aussi
rouge que du sang : « On y puisa de l’e au , d it- il, et on la trouva pleine de petits
vers rouges, qui en les prenant sautaient des mains comme des puces. » Ue Maire et
Schouten firent la même observation en novembre i 6 i 5 , par le 3 y ' degré de latitude
méridionale. Jacques l’Hermite est le premier navigateur q u i, en'observant ce
fait en janvier 16 2 4 , sous le parallèle du golfe de Saint-Georges, ait reconnu des
crustacés dans cette masse d’eau lougie ; ii les considéra comme de très-petites écreces
myriades d’animalcules qui produisent à la surface des eaux '
ces teintes sanguinolentes si souvent aperçues par les voyageurs,
qui, frappés de leur étendue con s id é rab le ,leu r ont donné le
nom de mer rouge ou mer de sang.
Ces petits crustacés apparaissent dans certaines saisons sur
les côtes du Chili et du P é ro u , dans le voisinage du cap de
Bonne-Espérance, de la Nouvelle-Hollande, des iles Moluques
et dans quelques golfes , tels que ceux d’Arabie et de Ca lifornie,
qui sans doute leu r doivent les dénominations de mer Rouge
et de mer V ermeille ; mais ils se trou v en t en plus grande abondance,
ou du moins, ils ont été plus fréquemment remarqués
dans la partie de l ’Océan atlantique qui baigne les côtes de
l ’Amérique m ér idiona le, entre le tropique du capricorne et le
48'”' degré de latitude S u d , à la hauteur surtout de f embouchure
du Rio de la Plata et le lon g des côtes Magella-
niques , où il est à croire qu’ils deviennent la proie des
grands cétacés qui peuplent ces parages.
I.e 3 novembre , nous nous trouvions à plus de 200 lieues
dans fE .N .E , de l ’embouchure du Rio de la Plata, lorsque
nous fûmes assaillis par un de ces coups de vent communément
appelés Pamperos pa r les indigènes des rives de ce grand fleuve.
visses. Byron fit une semblable remarque dans le même parage en novembre 1764.
Dampier et Cowley, qui voyageaient sur le même navire en 16 8 4 , disent tous deux
avoir rencontré dans le mois de janvier de la même année, à 60 lieues au sud de
l’embouchure de la P la ta , des monceaux de petites chevrettes qui rougissaient la
mer à un mille à la ronde, et qui leur parurent former deux espèces distinctes,
dont fn n e était parvenue à la grosseur du bout du petit doigt. M. de Gennes trouva
aussi, en 16 9 6 , dans la partie méridionale du Brésil, la mer tellement couverte de
petites écrevisses « que fo n aurait pu , dit-il, lui donner le nom de mer rouge. »
Depuis quelques années, les naturalistes attachés aux expéditions de découvertes
se sont beaucoup occupés de ces animalcules, dont ils ont décrit plusieurs espèces.
D ’après M. Lesson,-celles que nous avons aperçues sont des Daphnies et des Né-
balies.