M ais , si elles mènent une vie si dure, rien n’égale aussi leur
inhumanité; elles ne se sont pas encore dépouillées de ce caractère
barbare qu’elles tiennent des Indiens auxquels elles appartiennent
par le sang. C'est avec une froide férocité qu’elles massacrent
leurs prisonniers, même hors de la chaleur enivrante
de l’a c tio n , qui seule pourrait la rendre excusable. On nous a
cité des milliers d’exemples de l’insensibilité avec laquelle elles
versent le sang des mallieureux combattants que le hasard
même leur livrait après la victoire.
L e premier février , le général Freire nous envoya un maré-
dial-des-logis d’ordonnance avec plusieurs chevaux pour nous
rendre à la ville de la Concepcion, oii il nous attendait à dîner.
Le désir que nous avions de mettre à profit le peu de temps que
nous votdioiis consacrer à cette relâche nous avait fait retarder
j nsqu’â ce jo u r la visite que nous lui devions. Nous partîmes avec
M. Gabert de bonne h eure dans L-ymatinée. A peine nos chevaux
furent-ils sortis de Ta lcahuano , qu’ils prirent le galop, et nous
conduisirent forcément sous cette allure jusqu’à la v i lle , car ils
se montraient toujours rebelles, quand nous les faisions changer
de pa s, ou que nous voulions les arrêter. Le cavalier chilien qui
nous acconqiagnait nous dit que les chevaux du pays étaient
ainsi dressés, et que le galop était leur allure ordinaire dès qu’ils
avaient une route à parcourir extra muros. On n ’a aucun soin
de ces animaux utiles, habitués à faire des courses de trente à
quarante lieues par jour. Aussi succombent-ils souvent au milieu
de leur traite; mais leurs maîtres impitoyables s’en soucient fort
p e u , [lar la facilite c(u’ils ont de les remplacer promptement et
presque sans frais. T o u t Chilien qui a une longue route à fournir
emmène toujours avec lui plusieurs chevaux pour être â
même d’en changer au fur et à mesure que celui qu’il monte est
fatio'ué on vient à succomber. Comme ces animaux errent sauvages
dans les b o is , il arrive souvent qu’un pauvre cavalier, insouciant
de la vie de sa h é te , se p ro cure , à sa m o r t, une nouvelle
monture au moyen du la c e t, arme favorite q u ’il [lorte
constamment avec lui. L ’adresse des Chiliens à saisir un cheval
par ce moyen et à le donqiter est inconcevable. Ils le ménagent
si peu dans leurs courses, que cjuand il leur arrive d’avoir une
descente rapide à franchir, ils ont l ’hahitude , dit-on, de le faire
glisser, accrou|)i sur les jambes de derrière.
Après avoir passé le |)ont en bois cjui traverse les fossés
creusés pour la défense de la presqu’île cle T a lcah u an o , nous
suivîmes cjuelc[ue temps le chemin tracé ie lon g de la mer.
Tandis que nos regards se promenaient lentement sur la vaste
plaine sablonneuse qui se déroulait devant n ou s, sous un triste
aspect, clair-semée cle, bouquets d’arbrisseaux variés par leur
port et leur feinllage, et limitée par des collines ornées de bois
taillis cjue cloraient les rayons du soleil sous un ciel sans
nu ag e s, nous vîmes tout-à-coup s’élever de la plage des nuées
de goélands, d’hirondelles, de noddis, de becs-en-ciseaux. Leu r
nombre surjiassait tout ce que la crédulité jieut con ce vo ir, et
ce n ’est point une exagération que de dire qu’ils obscurcissaient
le soleil dans toute l’étendue d une lieue.-Nous restâmes longtemps
dans une esjièce d’exta se , contemplant le vol mesuré de ces
nombreux palmipèdes cjui faisaient retentir les airs de leurs
cris aigus. En cm instant ils s’abattirent avec la rapidité de la
fondre sur le rivag e, oii leurs corps dessinaient une immense
bande blanchâtre tachetée de gris et ch noir. Ce changement
scdiit s’opéra â nos yeux comme uue espèce de fantasmagorie.
.Tamais les rives des des Malouines, si pcujilées d’oiseaux de mer,
ne nous avaient offert un spectacle aussi remarquable; une
telle multitude d’oiseaux pélagiens doit donner mie idée de l’abondance
des productions marines de la baie de la Concepcion,
où ils trouvent leur nourriture.
Le chemin prolonge ensuite le penchant de deux co llin e s , du
J~oyage de la Coquille. — Part, u 24
à