CHAPITRE III.
T R A V E R S É E D E T É N É R I F F E A U B R É S I L .
Septembre
1822.
Noos appareillâmes de Santa-Cruz dans la soirée du i " septembre,
et nous fîmes route de manière à reconnaître les îles
du cap V er t. Le 2 , nous restâmes en calme devant M e de Go-
m è r e , en vue du pic de T én é r iffe , qui élevait majestueusement
sa tête dans les d eu x sur un fond d’azur superb e, au-dessus des
flocons de nuages b lan cb â tre s, qui se développaient à sa base
comme une ceinture éclatante. Le jo u r s’écoula à contempler
cette haute montagne, qui surgit du sein de la m er comme un
vaste monument que la main ])uissaiite du Créateur semble
avoir je té là pour déposer de quelque grande catastrophe du
globe. Regardée de la surface de l ’O c é a n , au milieu d’un calme
[irofond, elle réveille dans la pensée les grandes révolutions
q u i , dans les temps re cu lé s , ont bouleversé la terre ; alors l’esprit
porté à la méditation rêve, avec f ingénieux auteur de l ’Essai
sur les iles F o r tu n é es , l ’existence de l ’Atlantide ; et l ’imagination,
caressant cette idée, se complaît à voir, comme lu i, dans ces
débris vo lcan iq u e s , les restes d’un continent enseveli.
Le 4 , fa brise s’éleva bon fra is, et nous conduisit ju sq u ’à
l ’ile S a int-A n to in e , que nous aperçûmes dans l ’après-midi du 8.
Parvenus à deux lieues de sa pointe N .O . , nous ne distinguions
qu’à travers d’épaisses vapeurs les hautes montagnes
qui la couronnent. Mais à la chute du jou r, les brumes se dissipèrent
, et f oeil se fatigua bientôt de n’avoir à fixer que des
PARTIE HISTORIQUE, CHAP. III.
pics g ig an te squ e s , dés côtes profondément d e ch ire e s , enfin sepieniSr
tous les accidents d’un sol anciennement bouleversé p a r l’action
des volcans.
Les nombreux navires qui s’arrêtent d’ordinaire aux iles du
cap V e r t re lâ ch en t à S a in t-Y a g o , où ils trouv ent des rafraîchissements
en abondance ■. de là vient que Saint-Antoine reste
inconnue aux v o y a g e u r s , qui n ’en ont meme que rarement
aperçu les cô te s , et qui n’ont d’autre idée du sol et des productions
de cette île , que celle qu’ils s’en sont formée par analogie
avec la première, qui est très-fréquentée. Il ne serait peut-être
pas inutile c ep en dan t, sous le rapport des sciences naturelles
su r to u t , que les navigateurs daignassent 1a visiter. Nous reg rettâmes
beaucou)) que le b u t de notre mission ne nous permit
pas d’y je te r un pied d’ancre; et nous n’en parlons ici que pour
exprimer le voeu que ceux qui nous suivront sur cette route
cherchent à réaliser ce que nous aurions voulu faire nous-
mêmes. Obligés de passer rapidement, nous avons tâch é néanmoins
de fixer, avec toute fex actitude possible, sa position
g éo g rap h iq u e , dout 1a détermination nous a paru d’autant
plus im p o r tante , ([u’clle n’était pas encore mentionnée dans
notre Connaissance des temps. D ’après nos montres marines et
les relèvements pris par M. B é ra rd , entre cinq et huit heures
du soir, la partie la plus Nord de l’ile Saint-Antoine est par
17° I I ’ 5" N . , et 27° 35’ 22” O.
Nous nous dirigeâmes de là vers l ’île B ra v a , dont nous désirions
aussi rectifier la position; mais les vents contraires nous
empêchèrent de l'a tte in d re , et nous continuâmes notre route
vers le Sud.
11 y avait déjà quelque temps que nous subissions les incommodités
des premières chaleurs tropicale s, qui se faisaient
d’autant plus sentir, (pfelles n’étaient point encore mitigées par
l ’habitude. La température se maintenait le jo u r comme la nuit,