Oclübi'f
1822.
60 VOYAGE AU TO U R DU MONDE,
frayé au milieu des forêts, il entend la voix sourde et plaintive
du ramier se mêler au b ru it d'un ruisseau qui s’écoule. La solitude
des bois plaît à l ’ame; le silence qui y règne appelle la
réflexion; les souvenirs se pressent; un in s tan t, les jours
heureux se renouvellen t; et le miroir dn passé, en réfléchissant
sur le présent l’ombre du bonheur qu’il o ffr it, colore l’avenir
d’une image riante.
Plus d’une fois aussi les terres du continent, qui forment la
partie occidentale de la baie de Santa-Catharina, nous ont
pénétré de ce vague idéal, de ces émotions indéfinissables, compagnes
de la solitude. L à , les côtes sont couronnées de monts
élevés, couverts de grands arbres, et traversées par des sentiers
(|ui conduisent dans l ’intérieur; des cascades tombent des flancs
des montagnes, et s’échappent dans les vallées à travers des
végétaux pompeux qui abaissent leur v er t feu illa g e , leurs bouquets
de fleurs, sur fon d e écumante; des riv iè re s, des ruisseaux
d’eau limpide d’un cours lent et monotone, après avoir
arrosé des vallons om breu x, de riches campagnes, vont se
perdre dans des marais immenses, qui bordent divers points du
rivage. Une ro u te , tracée sur toute la cô te , vous mène à travers
mille sinuosités, tantôt sur le bord de la mer, le long des habitations
et des groujies de bananiers, d’o ran ge rs, de citronniers
et de cafîers qui les entourent; tantôt dans des vallées solitaires,
au milieu d’épaisses forêts , où l’ombre silencieuse des b o is , le
murmure d’une eau courante, le chant varié des oiseaux, le
bruit des feuilles qui tom b en t, charment les sens, éveillent la
pensée, et rappellent à l’homme et sa grandeur et son néant.
Jamais aucun voyageur n'a respiré fa ir du Brésil, jamais il
lie s’est assis à fom b re de ses forêts sans en recevoir des impressions
profondes. « Nous nous rap|iellerons long-temps, dit
M. Lesson, la douce sensation que nous éprouvâmes, en foulant
pour la première fois le- sol américain. Nous descendîmes
S E S
RARTIE HISTORIQUE, CHAP. V. 6r
d abord sur la jietite île A nhatomirim, q u i, séparée du conti- ociobr«
lient par un étroit bras de mer, n’est qu’un pâté de roches
granitiques, couvertes d’a rbustes, d’orchidées, sur lesquelles
s ’élevaient les candélabres épineux des cactus, au milieu des
longs chaumes du bambou. Quelques touffes d'arbustes étaient
l ’asile de garliis (lanius sulfuraceits), de benteveo (laniuspitan-
gua), oiseaux insectivores, peu défiants, c r ia rd s , et aussi communs
sur ce point du Brésil que les moineaux en France.
« Guidés par un habitant qui avait rendu le même office à
M. de Chamisso, nous débarquâmes dans une petite anse, qui
est située vis-à-vis l’île Anhatomirim, en nous dirigeant au
Nord. I;e chemin est d’abord tracé dans uue vallée marécag
eu se , séjour d’un grand nombre de reptiles , et que des marais
profonds coupent parfois, en forçant à contourner le pied des
montagnes. Nous tuâmes en ces lieux quelques jolies espèces
de moucherolles, et le tangara cardinal. Le sentier pratiqué
ju sq u ’à l'Armaçâo s’élance bientôt sur une montagne élevée,
en formant de nombreuses sinuosités au milieu des forêts.
Celles-ci sont presque impénétrables, tant les plantes s’enlacent
les unes les autres. Les passiflores bleues et quadrangulaires
fo]-maient de longues guirlandes sur le chemin. De grands
arbres à feuillage trè s -v a r ié et à fruits très-divers sortaient
des fondrières au milieu des latan ie rs, des canna , des brillants
héhconia , qui indiquaient toujours des rochers humides, et
sous les pieds desquels on entendait m urmure r des chutes d’eau.
Des acaris et des toucans volaient sur nos tê te s , mais moins
fréquemment que fa n i des savannes et le benteveo. Une grosse
gallina eée, le mara il, est commune sur ce point. En quelques
endroits la terre remuée, sur laquelle est fichée une petite croix,
indique la sépulture d’un nègre esclave : c ’est là le terme de
ses souffrances, et l’asile où 11 a brisé ses fers.
« Nous nous arrêtâmes, après quelques milles de marche,
i/j.