Planche
LXXXV.
Un peu au deffus de la Ville de Siuut commencent les Habitations des Arabes,
connus fous le nom de
HAVARA.
Ils pofîedeiit aufft des terres de l’autre côté du Nil. On les dit originaires du
Ro>-aume de Maroc. C e ft la meilleure force d’Arabes qu’il y ait. Ils font gouvernés
par un Schcch; & ils font cous Gencils-hommes, à peu près comme les Polonois.
L e Vent étoit bon; nous en profitâmes, pour pourfuivre notre route, & nous
encre deux Villages :
BENIMUUR,
(^ e nous avions à notre gauche; &■
SCHIUB,
Que nous laiftâmes à la droite. Je levai la vuë de ce dernier endroit.
A un bon quart de lieuë plus haut, nous rencontrâmes
CATEA,
Village fitué du même côcé ; & presque à l’oppofice, il y en avoit un autre
qu’on nomme
ELL MOTMAR.
V ENDREDI 29. N o v em b r e .
Voyez ta A l’Occident du N i l , le bord de ce Fleuve eft tout couvert d’arbres, depuis Cacea Carte d u N il,
P l a n c h e jusqu’à
LX X X V I I . e l l NECHCHEELE.
Nous ne profitâmes pas néanmoins dc la beauté de cette v u e , parce que nous
continuâmes, toute la nu it, à faire voiles. H y a , vis-à-vis, de Nechcheele un autre
Village appellé
SACHET,
A u x environs duquel on remarque divers petits Califchs entretenus par les
Poffeffeurs des terres; mais comme le Gouvernement ne les oblige point à cet entretien,
ces Caliichs fe changent fouvent: auifi ne font-ils pas de la dernière importance.
Vers le matin le calme nous prit; & le Courant devint très fo rt; ce qui nous
obligea de refter tout le jour près de Sachet.
Un Prêtre Cofte, que nous avions reçu dans notre barque, à une petite diftance
du Caire, pric.ici congé de nous. Perfonne ne regretta cette perte. T o u t liinple
q u ’il
qu’il étoit, il le portoit néanmoins affez haut: jusque-là qu’il ofa nous dire plus d’une
fois, qu’il ne pouvoit nous prendre pour des Chrétiens, puisque pas un de nous ne
s’etoit mis en devoir de lui baifer les mains : au lieu que les Coftes accouroicnt,
chaque jour, en fouie auprès de lui, pour témoigner leur refpeft par de femblables
marques de foumiifion.
Nos Gens dcfccndirent à terre, pour y faire quelques provifions, qui nous
manquoient ; & ils tuèrent quantité de pigeons. Ils virent beaucoup d’autres Oifeaux;
mais la difficulté étoit de les approcher. Ils tuèrent pourtant une Oie du N il, &
donc le plumage étoit très-beau. Cc qui valoit mieux encore, elle étoit d’un goCic
exquis, fencoic le gingembre, & avoit beaucoup dc fumet, avec un goût aromatique.
Son jabot fe trouva plein de bled de T urq uie, & d’une racine qui croît au bord du
Nil, quand l’eau eft baffe. Cécoi: de cette racine que fa chair tiroit fon goût & fon
fumet; car rien n’approche davantage du gingembre, que cette racine.
Les Arabes des environs étoient alors en guerre, & s’cntre- tuoient cous les
jours. Cela ne nous empêeboic pas pourtant d’aller à terre; & nous n’y fûmes ex-
pof.;s à aucune infulte.
Nous vîmes des .'àrabes inoiffonner dans une plaine voifine. Ils ne coupoient
à une foi.s, que le bled, dont leur bétail pouvoit confuiner la paille dans un jour; &
dès qu’ils avoient coupé ce bled, ils fe mcccoient à labourer la terre, afin dc la préparer
à recevoir une autre lèmence.
SAMEDI 30. N o v em b r e .
L e Calme & le grand courant continuèrent; de forte que nous reftâmes encore ce
jour là dans le même endroit. Dans la matinée, je me rendis à Nechcheele, tant
pour voir la place, que pour profiter du Marché qui s’y tenoit ce jour-là. Je trouvai
que ce n’ccoit qu’un (impie Village. L e Bazar écoic néanmoins affez pourvu de provifions
& de quelque peu de quinquaillerie: le tout à bas prix; quoiqu’il n’y eût
abondance d’aucune chofc. Ce Marché, ou Bazar, fe tient, de huit jours en huit
jours. On y porte ce qu’on a pu épargner dans le cours de la femaine; & comme
la pauvreté régne généralement dans ces Quartiers, ce qu’un Particulier apporte au
marché ne confifte ordinairement qu’en trois ou quatre poules, en une demi-douzaine
d’oeufs, en quelque peu de froment, en citrouilles & autres femblables denrées. Un
chacun vient en perfonne au marché, avec fes petits effets. Il n’a pas affez de confiance
dans fon voifin, pour les lui mettre entre mains; c’eft ce qui fait que communément
il y a presque autant d’Honimes que de marchandifes.
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