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lui devions quelque chofc ; & à quoi il pcnfoit quand il fc jouok ainfi de fon ferment,
& rompoic l’accord qu’il avoic fait avec nous?
Ces reproches le mirent dans une colère épouvantable. II ju ra , qu’il nous
feroit connoître qui il écoit, & ce que nous lui devions. ’’Vous êtes, à h ~ il, dans un
’’Pays qui m’appartient; & je vous ferai payer jusqu’à la dixième partie de votre iang.”
Je me contentai de répondre, que nous fçaurions prendre nos mefures. Nous étions
indignés d’une celle conduite. Nous n’attendîmes pas fa répliqué: nous le quittâmes
fans prendre congé; & nous nous rendîmes fur le champ chez le Sch orbatfcbie .
Celui-ci, qui ne valoir pas mieux, nous tint à peu près le même langage ; &
lorsqu’on in’eùt expliqué ce qu’il avoir dit, je me levai, & hauifanc la voix je recommandai
au Pére de lui dire; que s’ils avoient pris leur réfolution, nous avions pris la
nôtre ; & que nous attendrions la Hn de cette fcène les armes à la main. Je pris là-
delfus le chemin de la porte; & le Pére, ainfi que le J u if, après lui avoir expliqué
mes fentimens, me fuivirent de près.
Mon dclfein étoic de me rendre à la barque; mais lorsque je traverfois la grande
Place, Baram Cacheff, qui s’y trouvoit me tic appeller. 11 étoic alors dans fa bonne
humeur. Il nous fit affeoir auprès de lui; & après les falutacions ordinaires, il dit:
que nous devions l’habiller comme un Prince, & lui faire outre cela divers autres préfens
qu’il ftipula. Ses demandes m’ayant été expliquées, je répondis que nous le contenterions
& que nous lui accorderions tout ce qu’il fouhaicoit, pourvu qu’il voulût
donner inceffammenc fes ordres pour notre départ. Il demanda quel habit je lui donnerois?
Je dis qu’il auroit le mien, qui écoic tout neuf & magnifique. Il falut lui eu
faire une defcription, dont il parut content.
L ’accord fembloit conclu. Il manquoit encore de compofcr avec le Scb o rb a t -
cbte. Je voulus l’aller trouver; mais Baram Cacheff m’en empêcha. ’’Envoie les
’’autres, medk -il, & refte avec moi, jusqu’à leur retour. S’ils conviennent avec le
'S c h o r b a t fc h ie , ce fera une affaire faite: fi non, je lui parlerai; & s’il eft opiniâtre,
’’vous n’en partirez pas moins pour cela.”
Pour ne montrer, ni défiance, ni crainte, je demeurai avec lui; & lorsque
nous fûmes feuls, il fit apporter des dattes & de l’eau, dont il me rég-ala : pour lu i, il
ne mangea, ni ne but à caufe du Rammedan. Il m’accabla pendant ce tems-là de civilités;
& me fit entendre, que je dcvois lui donner quelques-unes de mes chemifes, du
Calic,
Caffé, du Ris, &c. Je lui promis tout cela par fignes, & par quelques mots Arabes
mal-arcicuiés. Il en reflèntic une grande jo ïe , qu’il me faifoit comprendre par des
careffes réitérées.
Je in’apperçus pourtant, que parmi fes careffes il y en avoic, dont fon avarice
écoic le principe. Les Arabes, ainfi que les T u r c s , ont pour coutume de mettre ce
qu’ils ont de plus précieux, dans les plis dc leur Turban & dans ceux de leur Echarpe.
Baram Cacheff vouloir fçavoir, fi je ne portois point quelque chofe de prix fur moi.
Pour cet effet il commença p a n n e remplir mes poches de dattes; & quand elles en
furent remplies, il en mit dans mon Turban, & dans mon Echarpe, ayant foin de
fouiller en même teins pour voir s’il n’y trouveroit rien. Mais j’avois eu la précaution
de tout oter, avant que de forcir de la barque; de forte qu’il y perdit & fa peine
& fes dattes.
Dans ces entrefaites, le Pére & le J u if retournèrent d’auprès du Schorbat-
f c h ï e 3 avec la nouvelle, qu’ils n’avoient rien pu gagner fur lui. Baram Cacheff me
fit dire alors, que fi je voulois refter avec lui, & laiffer partir les autres, il me traite-
roit comme fon Frère, & me feroit bien paffer mon teins. Je le remerciai de fes
offres gracieufes, le priant feulement de finir notre affaire, & d’ordonner notre départ.
Il y confentit. Nous nous levâmes; & nous retournâmes à fa inaifon, où nous conclûmes
un nouvel accord. Il y fut dit ; ’’Que mon habit lèroit pour lui ; qu’il auroit
”de plus une paire de piftolets, de la poudre, du plomb, une certaine quantité de Ris
”& d c Caffé, quinze Sévillans; & que je donnerois, autant d’argent pour le ff£T,6i?r-
"b a t fc b ie , trente cinq Sévillans pour le fret de la barque, fix Sevillans au Revs &
’’crois pour les Matelots.” A ces conditions le Reys devoit partir avec nous, pendant
la nuit, afin que nous pulfions nous en aller plus furemciic.
Ce nouvel accord terminé, Baram Cacheff nous dit, qu’il alloit trouver le Schor b
a t fc b ie , pour lui faire entendre raifon; & qu’il viendroic enfuite à la barque, afin
d’y voir les préfens qu’on lui deftinoit. Pour nous, nous gagnâmes la barque, où
nous ne fûmes pas plutôt arrivés, que nous fîmes tirer de nos malles toutes les chofes
en queftion, afin de n’avoir pas befoin dc les ouvrir en préfence de Baram Cacheff.
Nous eûmes foin de cacher toutes les uftenciles de notre ménage, &: mille bagatelles
qui nous étoient néceffaires, n’expofant rien à la vuë que les armes, donc nous avions
une aflèz bonne provifion.