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Baram Cacheff n’arriva qu’au bout d’une heure. Il fit d’abord écarter tout le
Peuple, qui fe tenoit au bord du N il; & auffi-tôt qu’il fut entré dans la barque, il demanda
à voir fon préfent, dont il parut très-fatisfait. ”11 convient, à i t - t l , de le cacher,
parce que \ç.Scborhatfibie va venir. Vous le garderez jusqu’au foir; & quand
il commencera à faire nuit, j’enverrai un de mes Efclaves pour le prendre. .
L e Scborbai'fcbie étant a rriv é , on parla de l’accord, qui avoic été arrêté, mais
il n’en parut pas content. En vain nous lui offrîmes une pièce de drap rouge ordinaire
, dont il pouvoit fe faire un habit. Il ne le trouva pas à fon g r é , & ne voulut
point l’accepter; de forte qu’il fe retira mécontent.
Nous craignîmes une fécondé rupture de l’accord. Cela ni engagea à faire
reffouvenir Baram Cacheff de fes promcffes. Il répondit, que nous ne devions douter
de rien ; que tout fe feroit dc la manière qu’on en écoic convenu. Qui n auroit pas
cru après cela qu’il agiffoic fincérement? fur-tout lorsque nous vîmes venir le Reys, qui
nous dit, qu’il avoic reçu les ordres de fon Maître, & qui, tout l’après-midi, déchar-
geoic ce qu’il avoit apporté, & rechargeoic dc nouvelles marchandifes à la place.
Cependant la nuit vint ; & elle étoit déjà bien avancée, fans que TEfclave eût
paru. L'inquiétude nous prit; & nous fîmes partir le J u if & le Frère de TAga, pour
aller voir ce qui caufoic ce retardement. Ils y reftèrent jusqu’à minuit paffé ; & revinrent
enfin, avec la fâchcufe nouvelle, que les chofes avoient entièrement changé de
face; que Baram Cacheff écoit plus endiablé que jamais; qu’il ne juroic que notre perte;
& qu’il ne parloit que de Caiffes d’o r, qu’il vouloit avoir, avant que de nous laiffer
échapper.
V E j f e n d i , dont j’ai fait mention, le prémier de ce mois, & qui paroiffoic
avoir quelques principes d’honneur, vint alors nous trouver, & nous témoigna, qu’il
étoic très-mortifié des trilles circonftances où il nous voyoit. ’’ Vous n’avez pas à
’’faire, à i t - i l , à des Hommes, mais à des Diables. Ma mauvaife fortune m’oblige
”de vivre avec eux ; & je me maintiens dans mon porte, parce que je fçais écrire ; cc
’’qu’ils ne fçavent pas eux-mêmes. J ’ai horreur de la manière donc ils traitent les
’’Etrangers. Aucune barque ne vient plus ici. lis ont pillé toutes celles qui ont
’’paru, & ont maltraité les Reys jusqu’à leur faire donner ia baftonade. J e ne fçais
’’pas, p o u r fu i-v it - il, ce qui les retient fi long-tems, par rapport à vous. Ce font,
”üu vos armes, ou vos lettres. Je ne fçaurois pas dire lequel des deux. Mais je fçais
’’bien qu’avant votre arrivée, on a agité au Divan, fi on fc dcferoit de vous d’abord, Sc
”dc
”dc quelle façon on pourroit s’y prendre. Après de grandes difputes, on écoit con-
” venu de vous conduire dans les déferts, fous prétexte de vous accompagner jusqu'à
”la Cacarafle. Ce qu’ils vouloienc faire de vous, le Prophète le fçait. Mais tout ce
’’qu’ils difenc d’une guerre, qu’ils veulent entreprendre, ce font de purs menfonges,
’’pour vous faire donner dans le piège. Croyez, que vous avez à faire au plus grand
’’Scélérat qu’il y ait fur la terre. Il a tué neufHorames dc fa propre main. Ils écoienc
’’cependant de fes Am is , & des plus puifiàns du Pays. C ’eft ce qui Ta rendu fi redou-
’’cabie: outre qu’il foucienc fa puiffance par les largefiès qu’il fait aux uns, dc ce qu’il
’ ’prend aux autres. Il feroic encore Cacheff s’il ofoit aller à T fchirche, pour y dcinan-
”dcr le Caffetan. Mais il eft retenu par la crainte , que les plaintes qu’on y porte fi
’’fouvent contre lu i, ne lui faffent jouer quelque mauvais tour: ainfi il aime mieux y
’’envoyer quelque jeune imbécille, fous ie nom de qui il gouverne. De plus, a jou ta
’’lE f fe n â i, il eft yvre cous les foirs: il devient alors comme infenfé: il couche avec fes
’’propres Filles. En uu mot c’eft THomme le plus vicieux, que j’aye jamais vu.”
Nous écoutâmes cet afrcux panégyrique, làns y répondre un feul mo t, parce
que nous ne connoifiîons pas affez TEffcndi, pour nous fier à lui. Nous lui demandâmes
néanmoins fon confeil; mais il ne put nous en donner aucun. 11 nous laiffa
dans l’incertitude où nous étions ; Sc dans laquelle nous reftâmes toute la nuit.
L U N D I , 6. J a n v ie r .
D è s que le jour commença à paroître, un Efclave de Baram Cacheff vint a bord,
pour annoncer au Reys, qu’il devoir jetter tout notre bagage à terre, & nous obliger
à vuider la barque. Celui-ci, nous en ayant auflî-côc donné avis, nous lui dîmes en
préfence de TEfclave ; qu’il devoit bien prendre garde à ne rien coucher de ce qui nous
appartenoit ; que nous étions réfolus, à ne point quitter la barque qu’avec la vie ; & que
le prémier qui encrcprcndroic dc nous eu chaffer, feroic afiùré de refter mort fur la
place. Nous promîmes pourtant d’aller parler à Baram Cacheti, Sc je me rendis fur
le champ à fa maifon, fuivi des Interprètes.
Nous V fûmes reçus, à peu près, d e là manière qu’il nous avoic accueillis, le
jour précédent au matin ; & quand je voulus parler du fécond accord, qui avoic été
fa it, il entra en furie, & nous apoftropha d’un R o î ig , R o u g i cc qui veut dire:
A'dez^ 'VOUS en !
T om . I I . Nous
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