il parut à un chacun, qu’il feroit infenfé de nous engager plus avant; & qu’il faloit
tâcher de s’cii retourner au plutôt. On me remit le foin dc procurer notre dépave, du
mieux qu’il me feroic poiïïble; mais cette permiffion n’ctoic pas une chofc aifée à obtenir.
Cependant, je me rendis, à l’heure marquée, chez Baram Cacheff, à qui je fis
expofer, qu'il n’y avoic perfonne des nôtres, qui fût en état de foutcnir un fi long
voyage par terre ; & que nous lui demandions en grace, d’obliger le Reys à nous conduire
, par e au , jusqu’à la fécondé Cacarafte. Il répondit que cela ne fc pouvoit pas ;
que la Barque écoit à lui ; que fi le Reys s’étoit engagé à nous conduire plus loin, il
avoit pafie fes ordres; que d’ailleurs il n’étoit pas poffible dc remonter le N il, jusqu’à
la Cataraae, parce que les eaux étoient trop baffes; & que nous ferions forcés de
refter quelque part en chemin, avec fa barque; ce qui lui caufevoic une grande perte.
’’Puisqu’il ne nous eft pas poffible d'avancer par eau, repliquai-je, & que, d’un autre
’ ’côté, nous ne fommes pas en état d’aller par terre, nous n’avons donc pas d’autre
’’parti à prendre, quede nous en retourner.” V om le pouvez^, repric-il; mais ce
ne fe ra pas avec ma Barque. J 'e n ai befoin ailleurs; i l fa u t même,
que vous la vuidieZa au plutôt.
Un pareil difcours ne me permettoic plus de douter des mauvais deifeins que '
l’on avoit formés. Il n’y avoic point alors d’autre barque à Derri, & quand il y en
auroit eu, elle n’auroit jamais ofé entreprendre de nous conduire, fans la permiffion •
de cet Homme, qui écoic un vrai T y r a n , & qui, quoique hors de charge, gouver-
noic le Pays. Il faloit donc fe réfoudre à tout, plutôt que de quitter la Barque. Pour
cet effet, je lui fis offrir, par le Pére & par le J u if, tous les avantages qu’il pouvoit
efpérer, en nous la louant; & je lui fis repréfenter, qu’il gagneroit plus avec nous,
qu’avec toute autre Perfonne.
Après bien des difficultés, l’accord fut fait. On appella le Reys; & nous jurâmes
cous, en tenant la barbe à la main, d’accomplir le T ra ité , tel qu'il avoic été convenu.
Baram Cacheff en fut fi content, qu’il me fit pvcfcnc de deux Zagaies neuves,
& d’un ne rf d’un jeune Eléphant, qu’il me dit avoir porté lui-même, plus de dix ans.
Nous nous retirâmes enfuite à la barque, où Baram Cacheff nous envoya une Chevre
& un panier dc dattes.
Nous envoyâmes alors le J u if avec du Sorbet, des liqueurs, du tabac, &c.
pour en faire préfent à Baram Cacheff. Mais les chofes avoient déjà changé de face.
L e Schorbatfchie, ayant appris que nous avions fait un accord avec lu i, & craignant
de
de perdre, fi nous nous en allions, tout l’avantage qu’il s’écoic propofé de tirer de nous,
avoit parlé à Baram Cacheff, & l’avoit fait changer de fencimenc. Il rejetta nos pré-
fens, en difanc, que nous nous mocquions de lui; qu’il lui faloit bien d’autres chofes de
plus grande valeur, pour nous conferver fa proteffion ; & qu’en tout cas nous n’avions
qu’à attendre l’arrivée du nouveau Cacheff, qui, comme on nous Tavoit dit, le matin,
nous conduiroic à Tendroic où nous avions deffein d’aller.
L e J u if étant venu nous faire ce rapport, nous eûmes de la peine à ajouter foi
à ce qu’il nous difoic. Nous chargeâmes le Pére d’aller trouver Baram Cacheff, afin
de fçavoir au jufte ce qui en écoic. II fut reçu comme un Chien dans un jeu de quilles.
Baram Cacheff lui dit mille foctifes; & quand le Pére voulut lui dire, qu’il dévoie
pourtant penfer, que nous venions munis de la protection du Grand-Seigneur; il répondit
en colère: ”Je me mocquc, des cornes du Grand-Seigneur: je fuis ici moi
’’même le Grand-Seigneur; & je vous apprendrai bien à me refpefler. Je fçais déjà,
’’ajouta-t-il, quelles gens vous êtes. J ’ai confulcé ma couppe ; Sr j’y ai trouvé, que
’’vous étiez ceux, donc un de nos Prophètes a dit: Q u t l viendrait des Francs tra~
" v e flis , qui par de petits préfens ÇJ par des manières doucereufes Ç3 infi-
""nuanies pajferoient partout, examineraient l'état du F a y s , en iraient en-
'fu ite f a ire leur rapport, Ç3 feraient venir enfin un grand nombre d'autres
"Franc s, qui feroient la conquête du Fay s Ç3 extermineraient tout; mais,
"s'écria-t-il, j ’y mettrai bon ordre; & fans plus de délai vous n’avez qu’à quitter
”ma barque.”
L e Pére, à fou retour, nous ayant confirmé le changement de Baram Cacheff,
& rapporté tout le galimatias, qu’il lui avoit fait, nous prîmes la réfolution de ne quitter
la Barque qu’avec la vie. Nous arrêtâmes, qu’en attendant nous tiendrions bonne
mine; Sc que nous irions même au devant du danger, pour ne point marquer de foi-
bleffe. Nous reftâmes pourtant tranquilles, le refte du jour Sc toute la nuit.
D IM AN CH E , 5. Jan v ie r .
S e lo n que nous en étions convenus la veille, je me rendis d’affez bonne heure chez
Baram Cacheff. J ’étois accompagné à Tordinaire du Pére, qui parloit la Langue Sc
du Juif. Notre Barbare ne tarda pas à paroître. 11 nous répéta fa chanfon accoutumée
, & offrit de nous mener à la Cataracte. Je lui répondis, tout n e t, que nous ne
voulions pas y aller. Il changea alors dc note. Il demanda de gros préfens, & fit
fentir, que, quand il les auroit reçus, il verroit ce qu’il pourroit faire pour nous.
Là-dcfius, je lui ris demander de quel droit il formoic une prétention femblable: fi nous
Tom . I I . M m m lui