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nous conduire au Cayre, & de nous mettre à terre, par-tout où nous voudrions. Nous
payâmes dix Sévillans d’avance.
Nous eûmes, ce jour-là, la vifite du Frère de TAga, qui nous avoit accompagnés
à Derri. Il arriva un moment après que le fils de TAga nous eut laiffés, après
avoir conclu le marché dc la barque. Nous n’avions pas encore vu ce Bon-homme,
depuis notre retour. Il nous félicita de nouveau fur ce que nous étions échappés, à fi
bon marché, des mains de Baram Caclieff. Nous lui demandâmes, s’il croyoit véritablement,
qu’on en avoit voulu à notre vie. ”J c ne crois pas, dit-il, qu’ils en fuiicnt
’’venus à cette extrémité, s’ils eufiènt pu vous enlever votre bien fans cela ; mais com-
”me ils vous vovoient réfolus à le défendre, & qu’ils craignoicnt d’un autre côté, que,
”fi quelqu’un de vous échappoit, il n’eût porté des plaintes, leur prémier defièin fut,
”de tâcher de vous furprendre & de fe défaire de vous. Ils ne purent pas heureufe-
’’inent convenir de la manière, dont ils s’y prendroient, car ils n’avoient pas envie de
’’s’expofer eux-mêmes, d’autant qu’ils voyoient, que vous n’étiez pas gens à lâcher prife
’’aifémenc. Il furvint, pourfuivic-il, une autre circonftance, qui contribua beaucoup
”à vous faire partir. C ’eft que le bruit de vos richeires s’étant répandu, il venoit
’’tous les jours, de divers endroits, des perfonnes, qui prétendoient avoir part au ga-
”ccau. Baram fende alors, qu e , s’il partageoic vos dépouilles, avec tant de Gens, il
’’courroie risque d’avoir beaucoup moins, que s’il s’accordoit avec vous. Son intérêt
’’particulier le détermina donc à tirer de vous le plus qu’il pourroit, & à vous faire
’’partir de la manière qu’il s’y prit.” Nous lui fìmes encore demander, s’il n’avoit jamais
parlé de nous à Baram Cacheff. ”Je n’y ai pas manqué, répondit-il; Je ne Tai pas
” vu une feule fois, fans lui repréfenter le tort qu’il fc ferait, s’il vous maltraitoic.
’’L ’Effendi, ajouta-t-il, fe joignoit à moi; mais le T y ran nous chargea Tun & Tautre
"d’injures, & menaça d’en ufer, avec nous, comme avec vous. Je nommai une fois
’’mon Frère. Baram fe mocqua de fà recommandation; & cependant le Miférable à
”ofc lui écrire ; qu’en fa confidération, il vous avoit témoigné toute la civilité iinagi-
’ nablc, & rendu tous les ferviccs qui dépendoicnt de lui.” L e bon Vieillard nous détailla
encore une infinité de circonftances, que nous ignorions, & s’étendit beaucoup
fur la cruauté de Baram ; cc que nous avions moins de peine à croire, que quand il
nous en avoit parlé d’avance. Du refte, ce Frère de TAga ne nous avoit pas été d’un
grand fecours dans notre voyage. Il craignoic encore plus que nous; & ¡1 écoic d un
tempérament trop flegmatique, pour ic remuer, comme il faut, dans une occafion
délicate. Je m’imagine pourtant, que Baram Cacheff Tauroic fouhaité bien loin. Un
témoin, de cette clpéce, devoit Tembarrafièr ; & il n’y avoit pas moyen de le tuer.
Son Frère écoic trop proche voifin, & trop puiffant, pour être oficnfé impunément.
Quant
Quant à nous, nous nous félicitions d’avoir efquivé un fi grand péril ; & quoique
nous eufïïons encore bien des difficultés à furmonter, avant que d’arriver au Cayre;
ce n’écoit plus rien, en comparaifon du danger que nous avions couru à Derri. Nous
n’oubliâmes pas de faire quelques préfens au Bon-homme; &: ii ne faut pas demander
s’il en fut charmé.
JEUDI, 16. J a n v ie r .
V e r a le midi, mourut Ibrahim Aga. Son fils nous envoya annoncer cette mort ; &
nous fit dire, en même tems, qu’il fuccédoit au gouvernement. Nous l’envoyâmes
bieiKÔc complimenter, & nous lui fìmes porter, en préfent, diverfes chofes, qu’il
avoic paru fouhaicer. En reconnoiiTânce, il nous donna le foir une garde de crois Ja-
nilfaires, en nous faifant dire, qu e , comme il ne pouvoir pas garantir, qu’il ne fur-
vînt quelques troubles à Toccafion dc la mort de fon Pére, il avoic cru , qu’il convc-
noic de nous mettre en fureté. Il falut prendre en bonne parc cette attention, dont
nous l’aurions volontiers difpenfé. Nous aurions mieux aimé n’avoir point de garde.
T o u t nous étoic fufpeêi: : aulfi, tant que ces Janilfaires reftèrent auprès de nous, deux
de nos Gens faifoient la nuit bonne garde tour-à-cour. 11 ne nous arriva néanmoins
aucun fâcheux accident.
J ’avois été le matin faire un cour fur une hauteur, d’où j’apperçus notre barque,
qu’on faifoit defcendre du Porc par la Cataracte. On employoit, dans quelques
endroits, des Chameaux, qui la tiroienc, pas le moyen d’une corde; & dans d’autres
endroits, des Hommes faifoient cet office. C ’écoic un ouvrage bien len t, & qui me fit
craindre, que notre départ n’en fût retardé de quelques jours.
V EN D R E D I , 17. 1
SAMED I, 18. de J a n v ie r .
D IM A N CH E , 19.
D u r a n t ces trois jours, il ne fe paiTa rien de bien intérclTant. Comme le nouvel
A g a nous avoic mandé, dc ne point forcir, pour la même raifon qui Tavoit porté à
nous donner une garde, nous ne nous éloignâmes pas beaucoup de notre demeure.
Nos Gens s’amufoienc à la ehallè ; & nous fîmes des provifions, pour notre prochain
voyage.
LU N D I , 20. J a n v ie r .
" A e i ’s le loir, notre Reys vint nous avertir, qu’à la fin il étoit arrivé avec fa barque;
R r r 2 qu’elle