fort de s’habiller d’abord à la T u rq u e ; car, quoiqu’on puiffe paroître à Aléxandrie,
en habits à l’Europééne, il vaut beaucoup mieux fe mettre comme les Francs, à la
vuë desquels on eft déjà fait. Par-là on paffe pour fçavoir les coutumes & les
ufages du Pays; & l’on eft moins fujet aux réflexions du Paffant. Une paire de
mouftaches, & un air grave & impofant font encore fort bien placés ici : on en a
plus de conformité avec les Naturels du Pays.
U n Voyageur prendra enfuite un Janiftàire à fon fervice ; & s’il eft poiîible,
il en choifira u n , qui foit accoutumé à fervir les Francs. On a des Janiffaires pour
peu de chofe. Us fçavent ordinairement ce qu’on appelle L in g u a F ra n c a . Us
accompagnent un Voyageur par tout où il lui eft permis d’aller. Perfonne ne
l’infultcra dans leur compagnie. S’ils rencontrent un Homme de diftinSion, ils
fçavent lui rendre compte de celui qu’ils efcortenc ; & s’ils voient accourir le menu
Peuple, ils l’ecartent par des menaces. L e s Banquiers connoiffent les Janiffaires
ferviables ; & on peut s’en rapporter à leur recommandation.
Avant que d’arriver à Alé x an dr ie,'un Voyageur aura lu les anciens Auteurs,
& fe fera fait une idée des chofes, qu’il veut ou éxaminer, ou confronter. Mais
comme le Pays a fi fort changé de fa ce, ce Voyageur a befoin, que quelqu’un
le mette fur les voies. Il peut faire aifémenc connoiffance avec les diverfes Nations
Européénes établies dans le Pays; & il en pourra tirer de grands fecours.
Qu’il prenne garde néanmoins de ne s’y pas livrer trop facilement. Il règne ordinairement
beaucoup de jaloufie entre ces Meilleurs. On doit tâcher de les connoître,
& ne s’attacher qu’à c eu x , qui peuvent être les plus utiles. L e Drogman
de 1a Nation Françoife, par éxemple, eft ordinairement un homme élevé dans le
Pay s , & qui en fçait parfaitement la Langue & les coutumes. A v e c cela, pour
peu qu’il foit curieux, il eft en état d’indiquer les endroits, où il y a quelque chofe
à voir. On ne doit pas négliger les inftruftions qu’il peut donner ; mais il ne faut
abfoluinent fe fier qu’à foi-même. T e lle chofe, qu’une perfonne ne daignera pas
regarder pourra mériter l’attention d’une autre, & donner des lumières, qui auront
échappé à des gens moins attentifs. T ou s ceux , avec qui un Voyageur fait
connoiffance, lui offrent civilement d’aller avec lui vifiter les antiquités du Pays.
L eu r bonne volonté n’eft pas de refus ; mais au prémier effai, on éprouvera, qu’ils
fe borneront aux chofes communes; & fi on veut aller plus avant, ils tâcheront
d’en détourner; foit parce qu’ils commencent à s’ennuyer, foit parce qu’ils craignent
de
i i dé Nubie. 41
de s’expofer à quelques accidens. On n’a rien de tout cela à craindre, quand
on a la compagnie d’un Janiffaire. Il eft accoutumé à fumer fii pipe, & à ne
rien faire. Il trouve ces deux fortes d’agrémens avec le Vo yageur, qu’il accompagne:
ainfi il fe foucic peu du tems, qui fe paffe à s’arrêter dans un endroit.
Je dois pourtant avertir, pu’il n’eft pas expedient, qu’un Voyageur pouffe fa cu-
rioficé, jusqu’à vouloir pénétrer dans des L ie u x , dont les T urc s ne permettent
pas l’entrée, comme font les Fortereffes & les Mosquées. Peut-être pourroit-il
perfuader fon Janiiïàirc de l’y mener. L ’intérêt peut beaucoup fur ces gens-!à.
Ils ne font pas à l’épreuve des préfens. Mais il y auroit toujours de l’imprudence
à s’cxpofer. Il arrivera une fois qu’on échappera du péri!. Il y aura
néanmoins toujours à parier cent contre u n , qu’on fera la dupe de fa curiofité. Je
confeille de ne point s’entêter à vouloir vifiter des L ieu x interdits: à moins qu’on
ne foit affuré d’avance d’une penniifion, de nature à garentir des hazards; 8c à
moins qu'on ne foie convaincu, que la chofe vaut la peine, qu’on fe donne, pour
parvenir à la voir.
L e s difcours des Perfonnes, avec qui on fait connoiffance dans le Pays,
donnent ordinairement dans le merveilleux. Elles racontent mille accidens, qu’elles
prétendent être arrivés à des Voyageurs, ou à d’autres. Si on s’en rappor-
toit à ces perfonnes-là, on n’iroit guère au-delà des murs de l’ancienne Aléxandrie;
& tout au plus on avanceroit jusqu’au C ayre ; mais dans le fonds, j’aime mieux
m’cn tenir à ma propre expérience, que me fier aux rapports de gens peu inftruits,
ou trop crédules. J ’ofe du moins afî'urer, que fi on n’cncreprciid pas d’aller plus
loin que le Cayre, & qu’on prenne tant foi: peu de précaution, la route ordinaire
y conduira en toute fureté.
On n’a point befoin de Drogman ou d’Interprcte, tant qu’on ne fort point
d’Aléxandrie. Si on a inccndon d’aller plus loin, il convient de fe pourvoir au
moins d'un V a le t, qui fçache l’Arabe. Une diipute, qui s’élcveroit entre les
gens dubatteau, fur lequel on s’eft mis, ou entre eux & les Paffagers naturels du
Pays, feroic capable d'allannei', fi on n’avoit pas quelqu’un, qui pût dire de quoi
il s’agit.
A u cas que l’on trouve à Alexandrie quelque occafion de voyager en compagnie,
foie avec des Miifionnaircs, foit avec des Marchands de quelque Nation
Europcénc, la partie ne doit pas ¿cre manquce: outre qu’on y trouve ordinairc-
STom. I . L ment