A p r è s avoir quitté Giefiret Ell Heiff, nous dcfcendimes le Nil jusqu a
MORADA.
Il n’étoic guère que neuf heures du matin, quand nous arrivâmes dans ce Porc.
Nous nous y crûmes eu un lieu de fureté; puisque c’écoic l’endroic où commençoic le
gouvernement de notre bon A g a d’Eflliaen. Mais nous y apprîmes bien-cÔ: que fa
maladie empiroic tellement, qu’on croyoit qu’il n’irnic pas loin. Cette nouvelle nous
affligea ; car nous connoiiRons affez fon fils, pour ne pouvoir pas nous promettre ds
lui les mêmes honuêcetés, que nous avions reçues de fon Pére.
Il avoic été informé de notre arrivée par le Reys; & en venant d’Effuaen, pour
nous joindre, il avoic rencontré, le Valet J u i f, que nous avions dépêché à l’A g a ,
pour l’avertir de notre retour, & pour le prier de nous faire fournir, le plutôt qu’il
feroic poffible, des Montures, afin que nous pulfions nous rendre à Effuaen, avec
Dans cette rencontre, le fils de TAga fit entendre à ce V a le t, qu’il ne nous ra-
mcneroit pas à fi bon marché qu’il nous avoit menés. ’’N ous fçavons, dit-il, main-
’’ccnanc de quelle façon il en faut ufer avec vos Gens. Nous, qui les avons traités avec
’’toute la civilité imaginable, nous n’en avons reçu que des bagatelles, candis que ceux,
’’qui les ont tyranifés, en ont tiré des chofes d’une grande valeur.” Notre valet lui
demanda, s’il vouloit fe mettre en parallèle avec des Voleurs, qui auroient voulu prendre
jusqu’à la chemife, s’ils n’avoient appréhendé que leurs doigts ne s’écorchaffenc, en
la cirant. ’’T ou t cela ell: bon, reprit le fils de l’A g a ; mais je ne ferai pourtant pas fi
”fou que je l’ai été.”
Nous ne fçavions pa.s encore l’intention où il écoit, quand il vint nous voir vers
les 10. heures, dans notre barque, avec le Reys. Mais après les premiers compli-
niens, il eut foin de nous faire fentir, qu’il lui faloit un préfent de quelque valeur,
pour l'engager à nous conduire à Effuaen; & que moyennant cela, il nous fourniroic
toutes les commodités que nous pouvions fouhaicer. Nous répondîmes, que nous
Tavions toujours regardé comme un Homme d’honneur, que nous efpcrions n’avoir
qu’à nous louer de lui, comme nous nous louions de fon Pére; que s’il prétendoit marchander
avec nous, il n’avoit qu'à mettre fes fcrvices à p rix; que s’il prenoit garde à íes
intérêts, nous en faifions de même de notre côcé; & que, du refte, il y avoic au Cayre
des Puiffances à qui nous fçaùrions faire le rapport de ia manière, donc il en auroit ufc
avec nous.
Cette
Cette rcponlè parut un peu l’intriguer. Il tint bon néanmoins; & , moitié par
néceifité, moitié par coiirtoifie, nous nous engageâmes à lui donner un habit dc drap
& quatorze Sévillans, outre trois Sévillans, que nous accordâmes pour les Montures.
Ce marché conclu, notre Homme parut content, & promit de venir nous prendre le
lendemain.
Je fis encore, ce jour l-à, un cour à la Cata ra ae, pour la contempler de nouveau.
Après cela je retournai à la barque, où nous reftâmes tranquilles, tandis que
nos gens tiroienc des Tourterelles, qui fe trouvent ici en quantité, de même que le
poifiòn ; & on nous en apporta autant que nous en pouvions fouhairer.
DIM AN CH E , 12. Jan v ie r .
V e r a le Midi, le Fils de TAga arriva, avec un aflèz grand nombre de Montures,
pour nous porter commodément à Effuaen. Nous fìmes auifi-tôt charger notre bagag
e , & nous nous mîmes en chemin. Mais en approchant de la Ville le Fils de l’A g a
prit les devans, & nous étonna fort lorsque nous vîmes qu’il paffoit au delà d’Effuaen.
Il falut pourtant le fuivre; car il en avoic donné Tordre à fes gens. En vain je fis demander
à quelques-uns la raifon de cette contre-marche: perfonne ne pu t, ou ne voulut,
m’en dire le motif.
On nous avoic joué tant de mauvais tours, que cette marche à contre-tems nous
devoit un peu aiiarmer. Cela ne m’cinpêcha pas de-tourner un peu à la gauche, pour
y voir un Obélisque, qui eft à moitié enterré dans le fable, & donc j’ai déjà fait mention
ailleurs. Cependant, je ne m’y arrêtai pas beaucoup. L e tems ne me le per-
meccoit pas ; car il faloit fuivre le gros de la croupe, avec laquelle nous arrivâmes enfin
dans une, foi-difanc, Maifon de Campagne de TAga. L e Commandant du Porc de
la Catarafte y étoic déjà. Il ordonna dès que nous fûmes arrivés, que Ton fît entrer
tous nos bagages : après quoi il donna ordre qu’on fermât la porte.
T ou s ces myftères nous donnoient beaucoup à penfer. Ils ne nous allarmèrent
pas néanmoins. Il n’y avoic pas beaucoup à craindre pour nous > puisque nous étions
affez bien armés pour lui faire tête.
Quand il eut payé les Chameliers, il vint à nous pour nous faluer, & nous fit
dire, par les Interprètes, qu’il ne nous avoic conduits dans cette Maifon de Campagne,
qu’afin de faire prendre le change au Peuple, qui s’ccoit affemblé, en foule, à Eflliacn,
pour nous voir arriver. ” Ils fçavent tout, dit-il ; & on les a inftruits de la manière,
T om . I I . Qjqq ’’donc