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difficile que de fe procurer, pour de Targenc, les chofes ncceffaires à la vie. L e bois
à brûler fur-touc eft, dans ces Quartiers, d’une rareté inconcevable. Quelques mou-
vemeiis que nous nous fuffions donnés pour en achetter, nous n’cn avions pu avoir.
Heureufement l’A g a nous envoya un morceau de bois de Sicomore. C’étoic un vrai
préiènt, dont un de nos Pères alla le remercier, & il lui porta en revanche quelques
bagatelles, qui avoient leur pris dans le Pays.
L e vieil Aga fut fi couché de notre reconnoiiTânce, que pour témoigner combien
il s’intéreiToic pour nous, il exhorta le Pere à ne pas avancer plus loin. ’’ Vous ferez
"cous perdus, dit-il; Vous n’allez pas chez des Hommes ; mais chez des Bctes féroces.
’’Ils cueroient un Homme pour un Parat: de quelle manière en ufcronc-ils avez vous,
’’qui portez tant de tréfors?” L e Pére lui répondit, qu’il ne dépendoit pas de lui de
refter, quand même il le voudroit. ”Eh-bicn ! reprit T.^ga, parlez donc, de ma parc,
’’à vos Compagnons de voyage, & détournez-les du deiTcin daller plus loin.” I ls ne
f e laijferont pas p e r fu a d e r , répliqua le Pére; ce ne f o n t pa s des g en s à reculer.
" " Im -fcb a lla l s’écria l’.Aga: T ien s , voilà les Lettres qu’ils m’ont demandées pour
’’les Puiffiinces. Qu’ils aillent au nom de Dieu! Mais je fuis bien fâ ch é, que ces
’’Gueux accrappenc tant de belles chofes que vous avez avec vous.
L e Pére nous fit un récit fidèle de ce Dialogue. Mais comme perfonne d’encre
nous n’ignoroit, que les T urc s ont une peine extrême à permettre aux Etrangers de
pafiêr au-de-là de la prémiére Cataracte, nous crûmes que le defièin de LAga étoit dc
de nous intimider; & comme nous avions reçu le refte dc notre pain; & achetté ce
que nous avions pu avoir pour de l’argent, nous mîmes tout en ordre, & nous fîmes
nos pacquecs, pour être en état de partir le lendemain, parce que l’A ga nous avoic
promis de nous fournir affez de Chameaux & d’autres Montures, pour nous conduire
à la Cataracte.
Dans le tems que nos Gens étoient occupés à empacquetcer notre bagage, nous
eûmes la vilite d’un Saint Mahomécan, qui, d’une main, jouoic du Tambourin, & dc
l’autre tenoit un petit bâton courbé, donc il toucha tous nos coffres, & nous mêmes,
en nous donnant une efpèce dc bénédiction à fa maniere. Un Chien, qui appartcnoit
à un dc nos Gens, & duquel 1e Saint s’approcha auifi pour le touclicr à ion cour avec
fon bâton, ne goûta point cette cérémonie. 11 prie cette bénédiêtion Mahomctane
pour une menace; & pour en prévenir les fuites, il faute au cou du Saint & le renverfé
par terre. Celui-ci fe mit à crier & à nous donner autant de malédictions qu’il
nous avoit donné de bénédictions un moment auparavant; candis qu’une foule de
Canaille
P i ; !
Canaille accouroic, & que chacun offroit, de venger Tinfuke, faite a leur Saine, par
des Infidèles.
Pour finir ce jeu, qui auroit pu nous coûter cher, j’envoyai vers le Saint, notre
Valet J u if avec une couple de Sévillans, qui firent leur effet. L e Saint fe retira de
notre Barque, & emmena avec lui la foule, qu’il appaifa le mieux qu’il put.
J ’avois une envie extrême d’aller voir les Antiquités, dont on m’avoic parlé;
mais il ne fut pas poffible de trouver un Canot. L e feul qui étoit dans la V ille , &
qui appartenoit à notre Reys, avoic été envoyé quelque part avec du fci. Cc concre-
tcms me mortifia beaucoup. Mais il falut prendre patience jusqu’au retour, où j’aurai
occafion d’en toucher quelque chofe.
L e Fils de l’A g a , qui étoit Commandant & Douanier du Porc de la Cataraêle
vint nous v o ir , dans ces entrefaites, avec fon Compagnon. Ils nous dirent, qu’ils
nous accompagiieroienc eux-mêmes jusqu’à la Cacaracle ; & que, fclon l’ordre de l’A ga,
ils auroienc foin que les Montures fufTenc prêtes pour le lendemain. Nous leur donnâmes
ie Caffé, & nous leur fîmes préfent de quelques épiceries &: dc quelques babioles.
DIM AN CH E , 22. D é c em b r e .
A , dix heures du matin, l’A g a envoya une garde de JanifTaires, auprès de notre
Barque, afin que tout notre bagage pût être déchargé en fureté & fans confufion. Il
nous fit enfuite amener treize chameaux, trois Chevaux & autant de' Bouriques qu’il
en faloit pour tout porter.
Malgré la précaution de TAga, TafRuencc du Peuple écoit fi grande, que nous
employâmes plus de deux heures, avant que de nous pouvoir mettre en chemin ; &
quoiqiTcnfuicc le Fils de TAg a, revêtu de fon Caffctan, & fon Campagnon, Tun &
l’autre à cheval, conduififfenc notre T rou p e , & empéchafrenc le désordre, la Populace,
qui s’ccoic aftèinblée devant notre barque, ne laifià pas de nous fuivre jusqu’à
la moitié du chemin.
Nous prîmes notre route à TOrienc du N il, Sz après avoir traverfé une affez
grande plaine, bordée de rochers, nous trouvâmes un Défilé fi étroit, qu’à peine un
Chameau chargé y pouvoit paffer. Nous vîmes après cela une Fortereffe T u rq u e , Sz
nous pourfuivîmes par un chemin afièz étroit, qui couroit le long de la Cataracfe.
l',nfiii au bouc de deux heures Sz demie de marche, nous arrivâmes au Havre de Morrada,
ou de ia prémiére Cacaraêfe.
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