pourvu d’eau douce, & il ny avoit pas moyen de lui en prociuer, qu’en la tirant du
N il, au dcITus de Rofette, où le Canal commence; car l’eau de ce Fleu v e, mêlée ù
fon embouchure, avec l’eau de la mer, n’eft pas potable; & pour i’aller chercher par
mer, il auroit falu au moins deux journées, l’une pour l’aüée, l’autre pour le retour.
D ’ailleurs, il n’y avoit pas moyen de fe fervir de grands bâtimens plats, capables de
contenir beaucoup d’eau ; parce qu’ils n’auroienc pas été propres à paifer la mer ; &
d’un autre côté de moindres bâtimens, qui auroienc tiré plus d’eau, n’auroieiic pas
trouvé aifez de fond à l’embouchure du Nil. Il y avoit donc une iieccffîté abfoluë
de commencer par le Canal; & ce Canal devoit être navigable; car fi on avoit eu fim-
plemenc en vue de fournir la Ville d’eau, on fe feroic contenté de faire un Aqueduc
de maçonnerie. Mais on creufa un Canal; & à ce Canal commença l’Aqueduc, qui
portoit l’eau à la Ville : candis que le Canal lui-même prenoit fa route vers la mer , ofi
il fe jetcoic au voifinage d’Aléxandrie. L e nom de Cléopatre, qu’il conferve encore
aujourd’hui, n’eft pas une raifon pour nous fixer, par rapport au tems, où i! a été pré-
miérement creufé. Une réparation, faite par une Reine auflî célébré, quelque diver-
tiifemenc qu’elle y aura pris, ou une Fête qu’elle y aura donnée, peuvent aifémenc
avoir occafionné ce nom. Du refte, la nécelïïcé d’un Canal étant conftante; c’eft
pour moi un guide affuré ; & je m’y tiens, fans m’embarraffer de chercher d’autres raifons,
que celles qui viennent d’être alléguées.
Quelque certaine pourtant que paroiiîè cette preuve, il ne laiffe pas de fe pré-
fenter encore une difficulté, capable de déranger tout notre fyftême, fi on ne trouvoit
pas moyen de la lever. Pourquoi, dira-t-on, fi les ruïnes de Memphis ont fervi à la
conftruêlion de la prémiére Aléxandrie, ne trouve-t-on, que fur l’Obélisque, & fur
les pierres, qui forment le fondement de la Colonne de Pompée, aucune des figures,
donc chaque Colonne, & chaque carreau de marbre apporté de Memphis, doit avoir
été couvert, ou orné. On voit bien, que je veux parler des Fliéroglyphes ; car il eft
certain, qu’à l’exception de ceux de l’Obélisque, & du fondement de la Colonne de
Pompée, on n’en apperçoit point à Aléxandrie. Quelques morceaux de Granite,
caffés, & tirés des fondemens de quelque Edifice ancien, ne font rien à l’affaire. Il
eft fu r , que les débris, qui fe trouvent dans la mer, devant i’Obclisquc, & que j’ai
jugé avoir appartenu au Palais de Cléopatre, n’ont aucuns Hiéroglyphes : les fûts &
les carreaux de marbre, employés dans les Boulevards , n’en ont pas non plus. Il
convient donc, de chercher le moyen d’accorder cette contradiêlion & d’en donner une
bonne raifon, afin de rendre notre prêuve acceptable; c’eft ce que je vais tâcher
d’éxccuter.
Dans
Dans le tems d’A léxandre, & fous fes Succeffeurs, le goût de l’A rchiceaurc
Egyptienne n’étoit plus en régne. L a Grè ce, quoiqu’elle eût ciré de l’Egypte les
premiers principes de cet A r t , y avoit fubftitué une ArchiteÎIure bien plus légère, &
ornée d’une toute autre façon. Les Grecs, n’ayant pas les immenfcs richcfies des
Egyptiens, ni comme eux l’abondance des matériaux, ni la multitude des Ouvriers,
renoncèrent à cette ArchiteOiure folide. Ils l’enviiàgèrenc même dans la fuite comme
défectueufe, & ne produifant que des maffcs lourdes Sc fans goût. Ils fixèrent des
régies pour les différens ordres d’Architeêlure, & ils les portèrent li loin, qu’ils allèrent
jusqu’à fe croire les prémiers Inventeurs de cet Art.
Aléxandre, imbu dans fa jeuneffe des principes de là patrie, n'avoit garde
d’adopter ceux d’un Royaume qu’il avoit fubjugué ; Sc d’ailleurs il lui eût été peu honorable
d’y élever des bâtimens, qui fe feroienc trouvés inférieurs aux moindres de
c eu x , qui s’étoient confervés dans le Pays. On conviendra donc aifémenc, que tous
les Temples Sc tous les Palais, que cc Prince, ou fes Succcfîèurs élevèrent, furent con-
ftruics dans le goût & fuivant les régies de la Grèce. L e s matériaux, qu’il tira des
ruïnes de Memphis, n’y pouvoient pas être employés, à moins qu’on ne les façonnât
de nouveau, félon l’ordre de cette Archiceêture. Cet ordre étoit extrêmement léger
en comparaifon de l’autre : ainfi il y avoit beaucoup à ocer. On ne refpecla point les
Hiéroglyphes, dont on n’avoit plus l’intelligence. Les Grecs les rcgardoienc même
avec envie, parce qu’ils conccnoicnc les myftères de la Religion Sc des A r ts , donc ils
prétendoienc être feuls les Inventeurs. N e foyons donc point furpris, fi on ne trouve
pas d’Hiéroglyphes fur les marbres, qu’on cire des ruïnes d’Aléxandrie. Il ne doit
pas y en avoir. Si les régies de la nouvelle Architeêlure ne les avoit pas fait oter,
on les auroit effacés, pour qu’ils ne paruffenc pas dans des Edifices, avec lesquels ils
n’avoient aucune connexion. Quelle indécence, par exemple, n’y auroit-il pas eu
à emplo\ er une colonne couverte d'HiérogK ph cs , avec une colonne de l'Crdre Corinthien!
Nous ne devons proprement regarder les ruïnes de Memphis que comme une
carrière brutte, d’où on ciroit les pierres pour les tailler d’une manière convenable.'
11 eût même été iinpoffiblc, de rafïèmblcr toutes les piccps de façon, quelles puffentfervir
à des Edifices, pareils à ceux, où elles avoient été employées. Dès qu’on fuppofe,
que ces Edifices étoient en ruïne, on n’y doit rien chercher d’entier; ¿c il y auroit eu
la même impolfibilité à rétablir cc qui y manquoit. , Des raifons d’ambition Sc de ja-
loufic, comme nous l’avons v u , s’y oppofuicnt; & on ne fçauroit ignorer l’cmpêche-
T om . J . F ment