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été [cmoin de l’affaii-e, dans le ceins que j’écois à Aléxandrie, pour me rembarquer,
afin de pafTcr en Europe.
Depuis quelques années certaines Femmes Grecques, d’aiTez mauvaife v ie ,
avoient tenu une efpèce de Cabaret, où les Matelots François alloient boire, quand
ils vendent à la Ville. Les désordres, qui s y commetcoienc, avoient engagé le
Confuí à faire fon poffible, pour détruire ce Cabaret; mais ces femmes setoient fi
bien précautionnées, que tous fes efforts avoient été inutiles. Elles avoient choiü
pour prote£keur un Janiffaire. L ’un de ces Braves, qui dans l’occafion, ne manquent
jamais d’amis, parmi leurs Camarades.
Dans le commencement ce Drôle fe contcntoit de faire le Maître dans le Cabaret,
châtioit les Matelots François, quand ils faifoient du bruit; mais, lorsque le
Confuí de la Nation fit defenfe, qu’aucun François ne hantât ce Cabaret, ce Janiffaire
fe déclara Ennemi de tous ceux de cette Nation. Il ne s’en tint pas aux paroles
& aux menaces; il infulcoit, dans toutes les occafions, tous ceux qu’il renconcroit.
L e Gouvernement d’Aléxandrie refufoit de châtier ce Janiffaire, foie parce qu’il le
craignoic, foit par ce qu’il ne vouloit pas donner facisfaflion aux François, fans
être bien payé. Cependant le Janiffaire devenoic de jours en jours fi infnpporca-
b le , qu’aucun François ne pouvait forcir de fa maifon, fans s’expofer à une mauvaife
rencontre avec lui. Leur fureté y fouffroic trop, & leur ambition peiu-étre
encore plus. II falut donc s’adreffer au Gouvcrneinenc du Cayre; & on y obtint,
par la voie ordinaire, qu’un Sious, ou une T ê te -N o ir e de la Porte des Janiffaires,
feroic envoyé à Aléxandrie, avec plein-pouvoir, pour connoître de cette affaire, &
pour prendre les mefures convenables à la fureté des François. Ceux-ci curent foin
de fe rendre leur Juge favorable, & convinrent avec lui de la manière, don: on s’y
prendroit, pour fe faifir du JanilTàirc, qu i, informé du péril, qui le mcnacoit, l'a
mit le jo u r, qui précéda l’arrivée du Sious, fous la Proceftion des Afiàfs, éfpérant
par-là efquiver le coup.
Enfin le Sious, étant arrivé à Aléxandrie, fe déclara, fuivant fes ordres,
fouvcrain J u g e , pour le tems de fa Commiifion. L e jo u r, qu’il voulut prendre
connoillànce de l’affaire, tous les François furent avertis de fe tenir chez eux ; éc la
porte de l’Hôtel du Confuí fut gardée par les Janiffaires, que la Nation entretiene.
Il n’y eut que le Drogman qui parut.
Cc jour-
Ce jour-là, de grand matin, le Sious fit enlever d’autorité toutes les Femmes
Grecques du Cabaret, & on les embarqua fur un Vaiffeau François, qui aufiicôt
mit à la voile, pour l’isie de Chypre, où il avoit ordrc dc les mettre à terre. L e
Janiffaire ne fe montra point dans cette occafion; mais il ne s’éloigna pas non plus;
parce qu’il croyoit, que la proteêlion, qu’il avoit priic chez les Affafs, le mectoit
futhfanunent en fureté.
Dès que le Sious eut reçu la nouvelle du départ des Femmes Grecques, il
tint un grand Divan, où il manda le Janiffaire & fes Complices. Ils s’y rendirent
fans témoigner la moindre crainte, & fuivis de toute la Populace, curieufe de voir
riiïùë de cette affaire. L e Sious les reçut fort civilement. Il les fit affeoir à fes
côtés, Sc s’entretint d’abord avec eux de chofes indifférentes. L e difcours tomba
enfin fur la démarche, qu’ils avoient faire, de changer de Porte, en laiffant celle des
Janilfaircs pour entrer dans celle des Affafs; & ils ne furent pas plutôt convenus
du fait, que le Sious lui-mêmc fe faific du Janiffaire coupable, tandis que fes gens
en faifoient autant à l’egard des autres. En même tems, on leur ota les armes,
qu’ils portoient cachées fous leurs habits: on les chargea de chaînes; & dans cet
état on les embarqua fur une V ergu e, qui mi: auffitôc à la voile.
Cette procédure violente fit foulevcr _dans le moment la Populace Sc tous
ceux qui apparcenoient à la Porte des Affafs. L e Sious, s’en étant apperçu, fe rendit
fur un Balcon; Sc après avoir ordonné de faire filence, il fit, -à haute v o ix , la
leSlure de deux plein-pouvoirs, dont il étoit muni. Comme l’un de ces plein-pouvoirs
avoit été expédié par la Porte des Afiàfs, & que perfonne n’y pouvoir trouver
à redire, un chacun fe retira. L e Sious informé par les François, que le J an if
fairc alloit encrer dans cette Porte, avoit eu la précaution d’en prendre des ordres.
L e Janiffaire, qui l’ignoroic, donna ainfi tète baiffée dans le filet; car s’il en eût eu le
moindre v en t, il n’auroit eu qu’à fe mettre à l’écart pour quelque tems : il feroit retourné
après le départ du Sious, & le procès auroit été terminé.
Les François avoient eu foin de ne point paroître prendre part à cette affaire.
11 n’écoit pas non plus fait mention d’eux dans les plein-pouvoirs. Malgré cela on
les rcgardoit comme les Aggrcffeurs ; & les Femmes de ces miférables, qu’on avoit
embarqués, s’imaginant qu’on les alloit nover hors du porc, coururent par la ville
comme des forcenées, afièmblèrenc leurs amis, & marchèrent droit vers l’Hôtel du
Confuí, vomiffanc des malédifbions & des imprécations contre les François. En
vain les Janiffaircs, qu’on avoit appellés, voulurent arrêter cette Canaille en furie:
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