P l a n c h e
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Cette réfolution prife, j’envoyai pour chercher des Montures; mais il hé fut pas
poffible d’en trouver. Il faUic donc fe réfoudre à faire le Voyage à pied , quoique le
foleil fût déjà bien haut, & qu’il fit une chaleur extrême. Cela ne in’empécha pas
de me mettre en route; & je puis dire que je fis une promenade des plus agréables;
car je pouvais contempler à loifir la Cataraêle, & les rochers de granit qui la forment.
Lorsque je fus entré dans la Plaine de Sable, je m’arrêtai fouvent, pour contempler
les Hiéroglyphes, qu’on avoic taillés dans la roche v iv e, & les quarreaux de
marbre granit, qu’on avoic commencé à travailler, Si. dont une grande partie reftoit
fans être achevée.
A force d’avancer dans cette grande plaine, j’arrivai à un Cimetière très-vafte
Si rempli de pierres, qui avoient toutes leurs Infcriptions. Je l’avois pris pour un
Cimetière des T u r c s , quand j’y paiTai pour la prémiére fois; mais comme j’avois plus
de teins pour le confidérer, je remarquai bicn-tôc, qu’il écoic d’une toute autre cfpéce.
Les tombeaux, presque cous femblables, n’avoient aucun rapport à ceux que je pouvois
avoir vu ailleurs; & j’avois de la peine à me faire une idée des Perfonnes, qui
avoient été enterrées dans ce lieu. Je dis à notre Valet J u if, qui lifoic le T u r c &
l’Arabe, d’examiner s’il pourroit déchiffrer quelque Infcription. Sa reponfe fu t, qu’il
n’y avoic pas une lettre, qui reffemblât à celles des T u r c s , ou des Arabes, & qu’il ne
comprcnoic rien à ce qu’on avoic écrit. J e lui recommandai de s’cn informer, afin
d’apprendre au moins quelle écoit la tradition du Pays; & on lui dit que c’étoit-là des
Tombeaux dc Mammelus, qui avoient été tués, lorsque le Calife encra en Egypte.
J ’ai donné, dans mes deffeins, la vuë de ce Cimetière.
En avançant plus loin j'arrivai à une porte antique, qui avoit été ruïnée &
enfuite rebâtie : auffi n’y voyoic-on point le goût des anciens Egyptiens ; mais plutôt
celui des Sarazins. L a matière écoic de bricques cuites au Soleil, mêlées de quar-
reaiix de pierres de la Thébaïde, & dc quelques morceaux de Colonnes; & ce mélange
ne difoic que trop, que la porte avoic été fujette à bien des changemens.
J e traverfai enfuite une grande quantité dc ruïnes, qui cémoignoienc par un
femblable mélange, qu’elles étoient du même tems que la porte. L e tout ctoit ceint
d’une muraille ruïnée comme le refte.
Je me ferois arrêté, tout le jour, à confidérer ces ruïnes, fi je n’avois pas été
obligé de penfer à notre fureté commune. Je les quittai donc à regrec, pour me
rendre
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rendre chez l'A ga , à qui je fis expofer mes juftes plaintes. L e Bon-lioraine, qui
eommençoit un peu à fe rétablir de fa maladie, parut indigné de la manière dont
le CachefTen ufoit avec nous. Il hau® les épaules, & me fit dire, qu'il voyoit bien '
où tout cela tendoit. "L e Cacheff craint, dit ¡1, q u e , par mes bons confeils, vous
"ne changiez de fendmcnt, & qne vous ne renonciez an deffein d'aller plus loin; ainfi
"il veut tirer de vous tout ce qu'il pourra. Du refte, ajouta.MI. foyez affurés, que,
"fi vous pénétrez plus avant, vous êtes tous perdus. Nous eu avons des exemples
funeftes. Des Gens, même de notre propre Religion, ont été dans le Pays & n'en
"font jamais retournés. L e nouveau Cacheff eft uu grand Coquin. Son Pére &
fon Frère lui reffemblent ; & tous ceux qui ont quelque chofc à dire dans le gonver-
’ ’nement ne valent pas mieux.”
Pom- ne pas témoigner de foibleffe, je lui fis répondre, que nous étions déterminés
à aller jusqu’à la fécondé Cata ra ae, pour peu que ia chofe fut poffible ; que les
Puiffances du Cayre nous avoient accordé pour cela leur proceffion, & que notre
deffein étoit d’en ufer, à moins que lui, ou le Cacheff ne nous défcndiffcnt d’aller plus
loin. Vous le vou lez , reprit l’A g a , je ne vous en empêcherai pas d’-aucorité. Les
Lettres que vous m’avez apportées m’ordonnent de vous affifter, & non pas de vous
arrêter. J ’y obéïs de mon mieux, & je vous protcfte, qu e , tant que vous ferez
■’dans mon gouvernement, ou dans celui de mon F ils , perfonne ne vous fera le moindre
tort. Mais je vous avertis, que,’ dès que vous ferez forcis du Porc dc la Caca-
r a a e , ma proteft on ne vous fert plus de rien; & je vous ai dit d’avance ce qui
’Vous arrivera. Reftez, pourfuivit-il, le Cacheff va venir. Vous le verrez: j’en-
voyerai mon Fils avec vous; & vous fçaurez plus préciféinenc dc quoi il eftqueftion.”
Là-deffus il fit fervir le Caffé, & me régala de quelques grappes de raifin, qui croient
d’un très-bon g oût, mais fort petites.
Nous en étions encore à cette frugale collation, quand la décharge de deux
Canons Si de quelque Moufqueccerie nous annonça l’arrivée du Cacheff. Je me rendis
chez lui avec le Fils de l’A g a & le Juif. Nous trouvâmes cette P u i f a n c e affife
fur une natte, étendue dans la pouffiére d’une grande Baffe-cour. L e Fils de TAga
me préfenta. L e Cacheff fe leva, me donna la main, & me fit affeoir à coté de lui.
Après ce Sa lam a leck, c’eft-à-dire après la falmacion ordinaire, le Fils de TAo-a
demanda, de la part de fon Pére, au Cacheff, quelle raifon il avoir pu avoir de nous
arrêter. ’’Vous fçavcz, r ép o n d lt- il, [a n s b é f iie r , que notre Peuple eft bien méchant;
& que ces Francs courrent de grands risques, s’ils avancent dans le Pavs,
E e c 2 ’’fans