L ’un de ces empêchcinens venoit de la révolte, qu i, dans ce tems-là, conci-
nuok à mettre tout le Pays en troubles. Quoiqu’on ne difconcinuât point de couper
tous les jours de têtes, & d’égorgcr fans miféricorde tout ce que le Gouvernement
pouvoir attraper de Rébellcs, il en reftoit pourtant encore un grand nombre, qui
s’écoient joints aux Arabes: le principal même d’encre e u x , nommé Salem Cachef,
donc on avoit fait courir le bruit de la mort, afin de tranquillifer la populace, s’écoic
échappé, malgré les perquilitions qu’on avoit faites, & s’étoit marié avec la Fille d’un
Schech Arabe. A la faveur de cet appui, il dépouidoic & tuoit tout ce qui venoit
du Cayre; de force que fi on partoit avec les Caravanes, les chemins fe trouvoient
abfolument impraticables, & fi on prenoit le parti de fe mettre fur le N i l , les barques
ne couroienc pas de moindres pirils.
L e fécond empêchement de mon voyage fut caufé par ime maladie, dont je
ne fis pas grand cas au commencement. Je l’attribuois uniquement à l’air du Pays,
que je croyois contraire à mon tempérament: je me flatcois néanmoins de m’y faire
avec le tems. Mais la chofe devint enfin férieufe: au bout de quelques jours la maladie
fe déclara être une véritable Péripneumonie. Elle me réduific à garder le lit
durant plus de deux mois, & m’inquiecca beaucoup: fur-tout, parce que je me trou-
vois logé dans une Hôtellerie, où les rencontres facheufcs ne manquent guère. Je
vais en raconter une, qui faillit à nous coûter cher; mais qui eut un fuccès plus heureux
qu’on ne pouvoit l’efpérer.
Quand un Etranger arrive en E g ypte , on lui prefent deux régies fondamentales
, donc la pratique eft néceiTaire à tous les Francs, pour être en fureté dans le
Pays. L a prémiére enjoint d’éviter toutes les occafions, où les T u r c s pourroient
avoir le moindre prétexte d’en venir aux prifcs; & de fupporter plutôt de légères
infultes, que dc bazarder de fe commettre avec eux: la fécondé veut, qu’au cas
qu’on ne puiiTe iè difpenfer d’avoir un démêlé avec un T u r c , on doit bien examiner
de quelle manière on fe défend; car fi, par malheur, on venoit à en mer un, i! faudroit
nécclTairement périr. Il feroit impoliible d’échapper à la fureur de ceux qui
chercheroient à venger fa mort, & qui lcroienc toujours aiTurés de l’appui du plus
grand nombre, ainfi que de celui de la Juftiee, pour ne pas dire de l’Injuftice même.
Je me fuis toujours attaché fi foigneufement à l’obfervation de la prémiére dc
ces régies, que je n’ai jamais été dans le cas d’avoir befoin de l’autre. Cependant,
une certaine fatalité voulut, que tous ceux qui logeoient dans l’Hocellcrie, où j’écois,
fe trouvèrent, un jour, dans la néceffité dc faire ufage de ces deux régies. Elles
n’aun’auroienc
même pas eu le pouvoir de les empêcher de périr cous enfemble, f i , dans
cette extrémité, une Dame n’avoit pas eu le courage d’y faire une exception, en fe
défendant d’une manière, qui, ù la vérité, avoit quelque chofe d’étrange & de grotesque;
mais qui heureufement lui rciilfit fi bien, qu’cllc fauva elle feule toute la
maifon.
Cette aventure fiirvim à l’occafion d’une Proceiïïon publique, ou Fête dc Cir-
concifion, qui, à ce qu’on précendoit, devoit être plus foîemnelle que la plupart des
autres, qu’on voir ici fi fouvent battre le pavé. Il n’en falut pas davantage pour
exciter la curiofité de quelques Domcftiques d’un Seigneur, donc j’avois fait la con-
noilTaiice en Italie, & avec qui j’allois faire le voyage de la Haute-Egypte. Ils a’avi-
fèrent de vouloir regarder cette Cérémonie de defius une terrafiè, fituée vis-à-vis
de quelques appartemens du Palais d’Omer Bey. Cc Palais n’étoit point ordinairement
habité ; mais l’envie de voir cette ProceiRon y avoit accii-é ce jour-là une des
Femmes d’Omer, qui choquée, félon l’ufage du Pays, de fe voir expofée à la vuë
de ces Etrangers, leur fit d’abord jeccer des pierres par fes Eunuques. Nos gens
s’appcrçurenr bien de l’infulte ; mais ne fçachant de quelle parc elle venoit, & le bruit
qui fc faifoit dans la ruë les ccourdilPant, ils ne s’allannèrent point de ce prémier
aiTaut. Iis en eurent bien-tôt un plus v if à efiuyer. L a Femme d’Omer, fcanda-
lifce de leur obftiiiacion, leur fit tirer quelques coups de piftolet, dans le deffein de
leur faire abandonner la place; & comme ce fécond avis ne fut pas mieux entendu
que le prémier, elle prit leur ignorance pour un fi grand aftronc, qu e , dès que la
Proceffion fut finie, elle envoya chez nous huit Janifiîiires, pour fe faifir dc ces Spe-
êtaceui's indifcrccs.
Je ne fçavois rien dc toute l’aventure. Mon mal me tenoit au lit , & j’étois
extrêmement affoibli. Je vis pourtant la moitié de ces Janiffaires traverfer ma
chambre, pour entrer dans une autre, qui menoit à la terrafiè, dont je viens de parler;
mais ils faifoient fi peu de bruit, & j’étois d’ailleurs fi accoutumé à dc pareilles
allées & venues, que je n’y donnois pas grande attention. Je vis de même, fans
beaucoup m’inquietter, retourner deux de ces Janifiàires, qui repafièrent par ma chambre,
après qu’ils eurent forcé nos Domcftiques à demeurer en arrêt, fous la garde
des deux autres Janiffaircs.
L e Maître de ces Domcftiques ne s’étoit pas non plus apperçu de l’affaire.
Mais il en eut bien-tôt des nouvelles. Les quatre autres Janifiàires, qui jusqucs-là-
étoient demeurés tranquilles à.l’entrée de la maifon, voyant que le prémier coup avoit
T om . 11. E e fi bien