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Sur le foir, le Reys, qui nous avoic conduits du Cayre à EiTuaen, vint nous voir,
& nous préfenta un Mouton excellent, avec un panier de pain de Pâques. Nous reconnûmes,
comme nous devions fa généroficé. Il étoir Janiffaire, & vivoic avec une
certaine aifance. Je dois pourtant avertir, que, quoique toute la Milice de ce Canton
prenne le nom dc Janiffaircs, ce ne font pourtant que des Affafs.
D IM AN CH E , 26. Jan v ie r .
N o t r e Reys & le J u if achevèrent, ce jour-lâ, de charger leurs dattes dans la Barque
; & le Reys, qui nous avoic menés à Derri & nous en avoit ramenés, vint à bord,
avec une prétention à notre charge. Il ne demandoic pas moins qu’on habit avec une
dixaine de Piaftres. Nous l’envoyâmes au Cadis, qui jugea, qu’il n’avoit plus rien
à prétendre de nous. Cette fencence coûta une piaftre, y compris les frais de l’accord
dreffé pour le Re y s , qui devoit nous conduire au Cayre.
Vers le foir, nous envoyâmes, en préfent à l’A g a , un pacquec de ris , d’épiceries
& de quelques autres babioles, avec quatre Sévillans pour le loyer de fa inaiion.
11 parut content du prémier Article; mais il faiibic difficulté daccepcer largent, parce
qu’il trouvoit la fomme trop modique. Cependant TInccrprcte lui ayant répréfencé,
qu’il n’étoit pas de fon intérêt dc nous chagriner, puisque cela pourroit nous porter à
négliger fes affaires, ou à le deffervir au Cayre, il accepta l’argent, & donna fes ordres
pour notre départ. Il nous fît remettre, en même tems, les lettres, donc il nous
chargeoic ; & nous apareillàmcs auffi-tôt, pour être en état de partir la nu it, ainfi que
l’A g a l’avoic confcillé, pour notre plus grande fureté.
LU N D I , 27- Jan v ier .
A - une heure après minuit, nous mîmes à la rame. L e v en t, qui venoit du N o rd ,
fouffioic affez fo rt, & nous recardoit; mais vers le midi il tomba entièrement; ce qui
fo que, fans nous arrêter nulle part, vers les fept heures du foir nous gagnâmes
GîESIRET ELL MANSORIA.
L e Cacheff d’Efnay campoit dans cet endroit. 11 nous fo mettre à tciTC. Je
me rendis d’abord auprès de lui, avec quelques petits préfens. Il me reçut fort civi-
kment, & me fit apporter le Caffé. Mais il refufa abfolument ce que je lui préfen-
tai, & me fo dire par l’Interprète, qu e , dans les endroits d’où nous venions, nous
avions donné des chofes de plus grande valeur, & que nous ne devions pas avoir
moins d'égard pour lui. Nous difputâmes beaucoup de part & d’autre; mais je dns
bon ; & tout fe termina à faire connoître, qu’il ibuliaitoit quelque chofe dc plus.
Pour parvenir à fon but, il offrit de nous faire accompagner par une douzaine
de fes Soldats. ’’Les Arabes, dit-il, rendent le paffage dangereux; & , depuis peu ,
’’ils ont tué un Effendi, qui venoit de Girge.” Je le fis remercier de fa bonne volonté;
& je m’excufai d’accepter fes offres, fous prétexte, que nous étions trop étroitement
logés pour recevoir quelqu’un dans notre barque. ”Du refte, ajoutai-je, nous nous
’’croyons affez fores pour réfifter à ceux qui oferoienc nous attaquer.” J e le priai feulement,
de nous laiffer partir le même foir; mais il n’y voulut pas confendr. Il promit
pourtant de nous expédier le lendemain.
Ce Cacheff écoit T u r c de naiffance. Il avoit fuivi la fortune d’un Bey , rebelle
au Gouvernement du Cayre; & avoit lui-même tué un autre Bey, envoyé contre fon
Maître. Ce dernier ayant enfin fuccombé, & s’étant noyé dans le N i l , il fc retira
auprès des Princes Arabes, qui lui donnèrent leur proteêlion, & le firent enfuite leur
Cacheff à Efnay.
M A R D I , 28. Jan v ie r .
L s Cacheff nous envoya, de grand matin, en préfent deux Moutons bien gras, avec
un grand panier de pain. Il falut répondre à cette honnêteté, par un autre préfent
plus confidérable. Il eut donc un morceau de drap rouge pour un habit, du Savon,
des Epiceries, du Caffé & d’autres bagatelles. Nous le contentâmes ce jour-là; & il
ordonna au Reys de partir dans deux heures. II ne laiffa pas, dans cet intervale, de
nous envoyer divers Meffiges, pour demander tantôt une chofe tantôt Tautre; & comme
il ne demandoic véritablement que des bagatelles, on ne lui refufa rien.
Dans un entretien, il montra au Pére Interprète un morceau de Marcaffice, &
lui demanda, commenc on pouvoit en tirer Targenc. L e bon Pére fe cira d’affaire du
mieux qu'il put. Ce Cacheff, perfuadé, comme tout le Peuple du Pays Teft généralement,
que les Francs n’ignorent rien, chargea le Pére de demander à nos Gens, fi
quelqu’un d’entre eux vouloit refter avec lui, pour mettre en valeur les Mines d’argent,
qu’il difoit être très-abondantes dans les Montagnes. Il promit d’enrichir celui
qui demeurcroit ; mais perfonne ne fut tenté d’accepter là propoficion.
Nous étions prêts à partir, quand il nous vint un nouveau Mcffage, chargé de
nous dire, que le Cacheff nous demandoic quelque chofe, capable de le rendre plus formidable
dans fon Scrrail. Nous ne pûmes, nous empêcher d’éclatter de rire à cette
propoficion. Pour répondre néanmoins, en quelque manière, à fa confiance, nous
T om . 11. T t t lui