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P l a n c h e
C L V I I .
T ous ces difcours , & les avis que nous avions reçus de TEftcndi, nous firenc
faire diverfes réflexions. Mais nous étions trop engagés pour reculer, & nous réfo-
lûmes d’avancer toujours pour voir ce qui en réfulteroic. En attendant nous crûmes,
qu’il étoit à propos d’iinpofer filence au Re ys, & de Talfurer, q u e , de quelque façon,
que les chofes cournaiTent, il nous refteroit toujours alTez dc pouvoir pour lui cafler la
tcte, parce que, s’il nous arrivoic du mal, nous l'en regarderions comme TAuteur.
”Dû(lions-nous tous périr, ajoutâmes nous, tu peux être aiTuré, que tu feras la pré-
’’miére viaime.”
Ces menaces le firent entièrement changer de langage. II jura, qu’il n’auroit
aucune part à ce qui pourroit nous arriver; que fi Baram Cacheff, à qui appartenoit
la barque, le vouloit permettre, il nous conduiroit de bon coeur auifi loin qu’elle ponr-
roic aller, mais qu’il craignoi: bien, que le Cacheff n’y voulût pas confentir. 1! nous
avertit de prendre bien garde, de ne pas offcnfcr ce T y r a n , dont il nous fit un portrait
affreux, quoique ce fut fon Maître. Nous n’en crûmes pourtant, que ce que nous
voulûmes, remettant à juger du refis par nous-mêmes, lorsque nous ferions chez lui.
L e Calme qui furvint alors, nous fit mettre à terre; & comme le courant nous
avoic repouffés, nous attachâmes la Barque près d’
AMADA,
Village ficué fur la Rive Occidentale du N il, presque vis-à-vis de Koroskof.
J ’y mis picd-à-cerre, pour aller voir im ancien Temple Egyptien, qui, dans la fuite
paffa entre les mains des Chrétiens. Ces derniers en firent une Eglife. L e s murailles
en fourniffent une preuve bien fenfible, puisqu’on y voit des peintures, qui repré-
fentent la Trinité, les Apôtres & divers autres Saints; & dans les endroits, où la chaux
cil tombée, les Hiéroglyphes, qui font deffous, viennent à paroître. Cc Temple efi
encore tout entier ; mais le Monaftére qu’on avoit bâti auprès, eft abfolumenc ruïné.
Je deifinai cet ancien Edifice. Je le mefurai crès-cxaclement; & j’cn donne le Plan,
ainfi que la Perfpeclive.
Après avoir fini mon deffein, je me retirai. Je n’avois apperçu perfonne en
chemin; mais auprès de la Barque je rencontrai un Barbarin, à cheval, & entièrement
nud , fi ce n’cft qu’il avoic la poitrine couverte d’une peau de chèvre. 11 ctoit armé
d’une longue picque & d’un bouclier de peau de Rhinocéros. Il m’arrêta, & me ht
plufieurs demandes, auxquelles je tâchai de répondre, du mieux qu’il me fut polfible;
mais comme il parloit le Barbarin, & moi la Langue Franque, nous ne nous fatis-
fî'mes guère Tun Tautre. Il fe laffa, à la fin, & s’en alla. J ’en fis de même.
Nou*
^ de Nubie. 225
Nous vîmes ce même jour un Crocodile; & ce n’écoit que le fécond que nous
avions apperçu depuis la première Cacarafte.
Du refte le lit du Nil avoit fi peu de profondeur, que la Barque pouvoit à peine
paffer en plufieurs endroits.
JEUDI, 2. Jan v ie r .
L e matin, à huit heures, le Vent étant au N o rd , nous détachâmes pour continuer
notre route; mais comme le Nil fe tournoie ici vers le N o rd , nous fûmes obligés,
durant tout le jour, de nous fervir de la corde pour tirer notre barque. Nous rencontrâmes
premièrement deux Villages vis-à-vis Tun dc Tautre, nommés
A B U H A N D E L ,
& HA SSAJA.
L e prémier nous reftoit à la gauche & le fécond à la droite. Vers le foir nous
mîmes à terre, près d’un Village ficué aulfi à notre droite. On Tappelle:
K U D JU H ED .
L a fituation du N i l , & de fes bords, continuoit toujours d’être la même.
Nous remarquâmes, que le caluc du rivage du Fleuve écoic pour !a plupart, couveit de
Lupins & de raves, donc la graine fert à faire de Thuile. Il y avoic auflî quelques
autres plantes, comme de la Chicorée & de la Pimpenclle.
On n’cft pas mieux pourvu dc Canots, dans ce Quartier, qu’aux environs de la
prémiére Catarafle. Nous remarquâmes ce jour-là, qu’on s’y prenoit d’une plaifance
façon pour traverfer le Nil. Deux Hommes écoienc alfis fur une botte de paille, tandis
qu’une Vache les précédoit à la nage. L ’un deux tenoit d’une main la queue de
la Vache, & de Tautre il dirigeoic une corde attachée aux cornes dc TAnimal. L ’autre
Homme, qui étoic par derrière, gouvcrnoic avec une petite rame, par le moyen dc laquelle
il tenoit, en même tems, la balance.
Nous vîmes encore, cc même jour, des Chameaux chargés, qui traverfoient
le Fleuve. Un Homme nagcoic devant, tenant à la bouche la bride du prémier Chameau
: le fécond étoic attaché à la queue du prémier, & le troifiéme à la queuë du fécond.
Un autre Homme aifis fur une botte de paille, faifoit Tarricre-garde, & avoic
foin que le fécond & le troilîcme Chameaux fuiviffcnt à la file.
T om . I L L U \T N -