féparer les Combattans. Il ne rcfta alors qu’un Garçon étendu fur la place. Il écoit
grièvement bleilè d’un coup de couteau, qu’il avoic reçu dans les reins.
L a Mére de ce miférable accourut bien-tôt, lorsque les Janiffaires fe furent
retirés. Elle écoic fuivie d’une douzaine d’autres femmes. Toutes jetcoient des cris
épouvantables, & pour achever la cérémonie, elles s’égratignoienc le vifage. La
Mére, encre autres, fc cournok, dc teins à autre, vers notre barque, nous donnant
mille malédifiions, menaçant & jurant de ne point quitter la place, qu’elle n’eût vu
couler notre fang, pour venger celui que Ibn Fils avoit répandu.
Nous ne craignions pas beaucoup les menaces de ces Femmes, nous appréhendions
feulement que leurs cris ne raffeinblaficnt de nouveau la Populace, avec qui nous
n’étions pas curieux de nous compromettre. Nous fîmes donc avertir l’A g a , qui
envoya d’abord deux Janiffaires, chargés de chaffer ces Femmes. Elles fe défendirent
d'abord comme des enragées. 11 falut prendre le bâton. L eu r courage céda alors
-à la douleur des coups qu’elles recevoienc. Elles prirent enfin la fuite, & nous fûmes
en repos. Cependant un des Janiffaires rcfta avec nous, fuivant l’ordre qu’il en avoic
reçu, pour nous fervir de garde.
Depuis la mort du vieil .Aga, nous n’avions pas encore vu le nouveau. Sa L o i
l’obÜgeoit à ne point fortir de fa maifon, qu’aprc.s un certain tems. 11 voulut bien
néanmoins enfreindre cette L o i , en notre fa veur, ou, pour mieux dire, en faveur de
fon propre intérêt. 11 vint à bord à minuit, accompagné d’un (èul Homme, qui por-
toic une longue picque, marque de fa dignité. Je n’étois pas encore couché. J ’allai
le recevoir; ie le fis entrer dans notre tente; & après avoir pris le Caffé, il ne carda
pas à me donner à entendre le fujet de fa vifite, en me faifant fentir qu’il étoit bien
naturel, que nous lui filfions encore quelque préfent. Nous répondîmes, que nous
n’io-norions pas, que nous étions dans fes dettes, pour le loyer de la maifon où il nous
avoic logés, & qu’il devoit compter qu'avant de partir, nous aurions foin de nous en
acquitter. Quand il v i t , que notre intention répondoic fi bien à fes vues, il changea
de difcours, & nous pria de vouloir bien nous charger des Lettres, qu’il écrivoir aux
Puiffances du Cayre, & où il demandoic d’être confirmé dans fa Charge, fans être
obligé d’aller en perfonne demander cette confirmation. A u bout dc quelques heures
d’entretien, il nous quitta, en nous fouhaitanc un bon voyage, & nous promettant
d’ordonner notre départ, pour le Dimanche fuivant.
SAMEDI,
î h
l i de Nubie. 255
SAMED I, 25. J a n v ie r .
L ’endroit, où l’on avoit attaché notre barque, étoit à un quart de lieuë de la Cita-
delle d’EiTuaen. Nous avions devant nous une plaine d’environ 130. toifes; c’étoit
un terrein que Técoulement des eaux du Nil avoic laiffé à fec. Cela nous reculoit de
la terre ferme, où nous ne pouvions pas aller, fans nous éloigner trop de la Barque;
ainfi nous nous occupions à tirer des Corbeaux &: des Poules de Pharaon, parce que
notre voilînage ne fourniffoit pas d’autre gibier.
Vers ie midi, nous eûmes un fpeêlacle, qui nous intrigua un peu. Une vingtaine
dc perfonnes, à cheval, parurent vouloir s’approcher de notre barque. L ’Efca-
dron étoit précédé d’une longue picque; ce qui marquoit qu’il y avoic dans la troupe
un Schech-Arabe. Quand nous vîmes, qu’ils avançoient effeêlivemenc à nous, nous
prîmes tout de bon l’allarme, & nous fongeâines à nous mettre en défenfe. Lorsqu’ils
furent à dix pas de la barque, ils mirent pied à terre, attachèrent leurs Chevaux,
plantèrent la picque, & avancèrent affez près de nous le piftolet au ceinturon. Nous
les fîmes prier alors, par un Interprète, de ne pas approcher davantage, fans nous
dire ce qu’ils fouhaicoient. A cette fommacion, le Schech s’arrêta, & ordonna aux
autres d’en faire autant. Il porta lui-même la parole, & nous dit, que nous ne devions
point prendre ombrage d’eux; qu’il n’écoit venu, que pour nous voir, parce qu’il
avoit entendu dire, que nous avions été à Derri; & qu’il fouhaicoit de nous connoître.
Perfuâdés qu’il n’avoit nulle mauvaife intention, nous nous rendîmes auprès de
lu i, & nous Tinvicâmes d’encrer dans notre barque, à condition qu’il y viendroic feul.
Il nous remercia civilement de notre offre. Alors nous lui fîmes préfenter le Caffé &
le Sorberc. Il en prit; & après nous avoir fait plufieurs queftions fur notre voyage,
il prit fort honnêcemeiK congé de nous, remonta à cheval, & s’en alla comme il étoic
venu.
I.e Reys demanda ce jour-l-à, qu’on lui avançât une quinzaine de Sévillans. Il
nous reprélcnca, qu’il n'avoit pas touché la moindre chofe des dix premiers que nous
avions avancés; qu'il avoic abfolumenc beibin d’argent, pour faire des provifions, &
pour donner quelque chofe à fon Equipage. Il écoic de notre intérêt de l’aider de notre
mieux, afin qu’il hâtât d’autant plus notre départ. Nous encrâmes donc dans fes peines,
& nous lui donnâmes ce qu’il nous demandoit. Mais nous ne fçavions pas que
c’étoic un piège, que le Drôle nous tendoit. L e J u if & lui s’encendoienc enfemble. Ils
employèrent cous deux leur argent à achetter des dattes, qu’ils chargèrent dans la barque,
& qui nous expoièrenc dans la fuite à bien des avanies.
S s s 2 Sur