
4do T O R T O R
' » Quant à l'opinion de ceux qui prétendent que I moment où il exerce fa force narcotique , il
j> la vertu de la Torpille agit de loin, continue I ohferve que fi cette hypothèfe étoit fondée, la
v Redi, je ne puis prononcer ni pour ni contre I main s’engourdiroit à une petite diftance de la
» avec la même confiance. Tous les Pêcheurs • Torpille, & que l’éloignement rendroit feulement
n affirment conftamment que cette vertu fe corn- j l’engourdiffement plus foibie, au lieu que le poif-
munique du corps de la Torpille à la main & au fon n’agir fur la main que quand celle - ci eft
»? bras de celui qui la pêche, par l’intermède de j en contad immédiat avec lui.
» la corde du filet, & du bâton auquel il eft fuf- j II allure auffi qu’inutile ment il obferva la Tor-
)> pendu. L’un d’eux m’aiïura même qu’ayant mis pille avec beaucoup d’attention, & qu’il ne vit
» une Torpille dans un grand vafe , ôc étant lur le I jamais qu’elle tût elle - meme agitée du tremble-
» point de remplir ce vafe avec de l’eau de mer \ ment dont parle Borelli, a l’inftant ou el)e ahoit
»? qu’il avoit mile dans un fécond baffin , il s’étoit j produire fon effet.
»? ienti les mains engourdies, quoique légèrement. «La Torpille , dit-il, comme, tous les poiffons
n On ni nn’il pn tnit. if» n’ofp'nis nier le fait : ie i ?> plats, néft Das abfolument plate : fon clos, ou
j* fuis même porté à le croire. Tout ce que je
»? puis affûter, c’eft qu’en approchant la main de
»? la Torpille fans la toucher , ou en plongeant
»? mes mains dans l’eau où elle étoit, je n’ai
»? relfenti aucune imprefïion. Il fe peut faire que
»? la Torpille , lorfqu’elle eft encore pleine de
»? vigueur dans la mer, & que fa vertu n’a éprouvé
»? aucune diffipation , produife tous les effets rap-
»? portés par les Pêcheurs??.
Le même Auteur paroît être le premier qui ait
remarqué ces mufcles ou organes finguliers que
nous avons décrits, d’après M. Hunter. Il con-
jèérnre même, quoiqu’il n’ofe l’affurer , que c’eft
clans ces mêmes organes que réfide la propriété
fingulière de ce poiffon. ‘ 11 obferve de plus que
cette vertu n’eft jamais plus aétive que quand la
Torpille , ferrée avec la main * fait effort pour
s’échapper.
?? plutôt tout le deffus de fon corps., eft un peu
?? convexe ; je remarquai que, pendant qu’elle ne
?? produifoit , ou ne voùloit produire aucun en-
?? gourdiffement dans ceux qui la touchoient, fon
?? dos gardoit la convexité qui lui eft naturelle;
?? mais fe dÜpofoit èlle à agir ? infenfiblement elle
?? diminuoit la convexité des parties de fon corpsb
?? qui font du côté du dos , vis - à - vis. de la poi-
?? trine ; elle applatiffoit ces parties ; quelquefois
?? même de convexes qu’elles font, elle les rendoit
?? concayes ; alors l’inftant étoit venu ou Ten-
?? gourdiffement alloit s’emparer du bras ; le .coup
?? étoit prêt à partir , le bras fe trouvoit engourdi ;
?? les doigts qui preffent le poiffon étoiènt obliges
?? de lâcher prife ; toute la partie du corps de l’ani-
?? mal qui s’étoit applatie, redevenoit-convexe.
?? Mais au lieu qu’elle s’étoit applatie infenfible-
?? ment, elle devenoit convexe fi ‘fubitement,
?? qu’on n’appercevoit point le paffage d’un état a
?? l’autre..,. Par la contraction lente ( qui eft l’effet
?? de l’applatiffement ) , la Torpille bande , poùr-
j» ?> ainfi-dire, tous fes refforts ; elle rend plus courts
?? tous fes cylindres ; elle augmente en meme
?? temps leurs bafes. La contraction s’eft-elle faite
?? jufqu’a un certain point , tous les refforts fe
?? débandent, les fibres longitudinales s’alongent,
?? les tranfverfales, ou celles qui forment les cloi-
?? fons, fe racourciffe-nt ; chaque cloifon , tiree par
?? les fibres longitudinales qui s’alongent, pouffe
i? en haut la matière molle qu’elle contient, à
?? quoi aide encore beaucoup le mouvement d’on-
?? dulation qui fe fait dans les fibres tranfverfales
??. lorfqu’elles fe contractent. Si un doigt touche
?? alors la Torpille , dans un mftant il reçoit un
?? coup, ou plutôt il reçoit plufieurs coups fuc-
?? ceflifs de chacun des cylindres fur lefqueîs il
?? eft appliqué.. .. Ces coups réitérés » donnés par
?? une matière molle , ébranlent les nerfs ; ils iuf-
?? pensent ou changent le cours des efprits ani-
?? maux, ou de quelque fluide équivalent; ou fi
?? on l’aime mieüx encore , ces coups produifent
.?> dans les nerfs un mouvement d’ondulation,
?? qui ne s’accommode pas avec celui que nous
?? devons leur donner pour mouvoir le bras. De-
?? là naît l’impuiffance où l’on fe trouve d’en
?» faire (i) Mém. de l’Acad, des Sc. a an, 1714. ufage &. le fentiment douloureux ??. M.
Quant à la caufe de l’engourdiffemënt produit
par ce poiffon, Redi, M. Perrault, & plu-
fieurs autres Sçavants l’ont attribuée à l’émiffion
d’une infinité de corpufcules qui fortent continuellement
de la Torpille , mais dont le flux eft
plus abondant en certaines circonftances que dans
d’autres. Ils ajoutent que ces corpufcules engour-
diffent les membres dans lefquels ils s’infinuent,
foit parce qu’ils s’y précipitent en trop grande
quantité, foit parce qu’ils y trouvent des routes
peu afforties à leurs figures.
Borelli a recours à une explication plus mé-
chanique. Cet Auteur diftirîgue deux états dans
la Torpille, l’un où elle eft tranquille , l’autre où
elle s’agite par un violent tremblement , & il
attribue l’engourdiffement que l’on éprouve en
touchant le poiffon, aux percuffions réitérées qu’il
exerce, à l’aide de cette agitation, fur les tendons
& les ligaments des articulations, « qui font, dit-il,
»? très-nerveux, & doués d’un fentiment exquis ??.
M. de Réaumur ( i) rejette les deux opinions
dont nous venons de parler, pour y en fubfti-
tjaer une troifième , qui fe rapproche ' cependant
jufqu’à un certain point de celle de Borelli. Entre
autres raifons qu’il oppofe à l’hypotHèfe des
corpufcules émanés du corps de l’animal, au
■M. de Réaumur obferve que l’engourdiffemeni
:peut fe faire fentir ailleurs que dans le bras. « Les
?? Pêcheurs, dit-il, affinent unanimement que lorf-
»? qu’ils marchent fur la Torpille , à pieds nus, ce
»? qui arrive quelquefois à ceux qui pêcbtent_à la
»? faine, elle leur engourdit la jambe > &. même
»? que ce coup les renverfe >?.
On a regardé la vertu narcotique de la Torpille ,
comme une efpèce d’arme inviûble qui lui avoit
été accordée pour fe défendre contre les attaques
des autres poiffons, ou pour mieux s’affurer fa
proie. M. de Réaumur mit une Torpille & un Canard
dans un même vafe plein d’eau de mer ,
ayant feulement recouvert le vafe d’un linge.,
afin que le Canard ne pût s’envoler. Au bout de
quelques heures il trouva le Canard mort ; il avoit
apparemment touché trop fréquemment la- Torp
ille ; il lui en coûta la vie. Il eût été à fouhaiter
qu’il fît cette expérience avec un poiffon, mais il
n’en avoit point d’autres pour lors que la Torpille.
L’explication de M. de Réaumur, toute ingé-
nieufe qu’elle eft, a été abandonnée, depuis que 1
M. Walsh eut mis en évidence le rapport déjà
foupçonné par le De&eur Bancroft , entre la
vertu de la Torpille , &L l’attion du fluide électrique
(1). M. Walsh fe trouvant à l’île de Ré, fit
à ce fujet plufieurs expériences, qu’il répéta à ia
Rochelle, en préfence des membres de l’Académie
, & de plufieurs des principaux habitants de
cette ville.
On plaça fur une table une Torpille vivante.
Autour d’une autre table étoient cinq perfonnes
ifolées. On fufpendit au plancher, avec des cordons
de foie j deux fils de laiton , chacun de
treize pieds de long. Un de ces fils s’appuyoit
par un bout fur la' ferviette mouillée où étoit lé
poiffon, & trempoit par l’autre dans un baflin
plein d’eau , pofé. fur la fécondé table, fur laquelle
il y avoit encore quatre autres baffins >
également pleins d’eau : la première perfonne
.avoit un doigt d’une main dans le baflin où étoit
le fil de laiton „ & un doigt de l’autre main dans
le fécond baflin : la fécondé perfonne avoit un
doio't d’une main dans ce baflin, & un doigt de
l’autre main dans le troifième, & ainfi de fuite ,
jufqu’à ce que les cinq perfonnes communiquaffent
l’une avec l’autre , au moyen de l’eau contenue
dans les baflins. Un bout du fécond fil de laiton
.étoit plongé dans le dernier baflin , & M. Walsh
ayant touché avec l’autre bout le dos de la Torpille,
Jes cinq perfonnes reffentirent une commotion ,
qui ne différoit de celle de l’expérience de Leyde,
que par un moindre degré de force. M. Walsh qui
ïî’étoit pas dans le cerclç, ne reçut aucun coup.
On répéta cette expérience plufieurs fois, même
avec huit perfonnes ? toujours aveç un égal
fuccès.
( i) O f th e e le c tr ic p r o p e r ty o f t h e T o r p e d o , & c , L o n d o n ,
?774*
filfloire Naturelle, Tomç III\
M. Walsh remarque une circonftancé fingulière
des expériences qu’il a faites fur la Torpille, c’eft
que ce poiffon étant ifolé, faifoit éprouver à plufieurs
perfonnes, difpofées pour l’expérience, &
pareillement ifolées, quarante ou cinquante fe-
couffes fucceflives, dans l’efpace d’une minute &
demie ; & ces fecouffes, très.-foîbles à la vente ,
étoient toutes fenfiblement égales. Il en corfclut
que l’éleéfncité de la Torpille eft condenfée , dans
l’inftant de .fon explofion , par un effort foudain de
l’animal , & non pas accumulée par des degrés
fucceflifs, comme cela a lieu par rapport à la bouteille
de Leyde. Chaque effort que faifoit lranimal
pour donner la fecouffe, étoit accompagné d’une
dépreflion de fes yeux, à laquelle on pouvoit
même reconnoître les efforts qu’il faifoit pour communiquer
la fecouffe à des corps non cônduâeuis.
Le refte du corps étoit en grande partie fans mouvement,
quoiqu’il n’en fût pas entièrement exempt.
Selon les ôbfervations du même Auteur , le
fluide d’une Torpille récemment pêchée , n’étoit
pas capable de traverfer le moindre çfpace d’air ,
ni de paffer d’un chaînon à l’autre d’une très-petite
chaîne fufpendue, en forte qu’on n’a jamais pu
obtenir, à l’aide de ce poiffon , la plus légère étincelle,
même en faifant l’expérience au milieu de
l’obfcurité la plus profonde. On n’a remarqué non
plus, dans de petites balles de moelle de fureau,
aucuns des fignes d’attraéfion & de répulfion qui
ont lieu dans les expériences éle&riques.
Quant à cette autre fenfation continue , mais
plus foibie que la fecouffe, je veux dire cet en-
gourdiffement que produit quelquefois la Torpille,
lorfqu’on touche feulement un de fes organes,
-M. Walsh remarque que l’on peut auffi l’imiter à
l’aide de l’éleélricité artificielle de la bouteille de
Leyde , en mettant la boule de l’éleélromètre de
M. Lane prefque en contaéf avec le principal con-
duéfeur , auquel communique la bouteille. 11 explique
l’engourdiffement caufé par la Torpille , en
fuppolant qu’il eft l’effet d’une décharge lucceffive
des nombreufes colonnes qui compofent fes organes
éle&riques , tandis que, félon lui, la fecouffe
provient d’une décharge inftantanée de ces mêmes
organes. Dans le cas de rengourdifiement , comme
dans celui de la fecouffe fubite , les yeux de
l’animal, qui ordinairement font faillants, rentrent
dans leurs orbites,
M. Walsh a tenté de vérifier >un fait avancé
par Kæmpfer (1), fçavoir que l’on pouvait, en
retenant fon haleine , fe garantir de la commotion
que donne la Torpille , & il a éprouvé que,
malgré cette précaution, la fecouffe ne Jaifloit
pas de fë faire fentir.
Il réfulte «des expériences & des obfervatîons
de M. Walsh, que les effets du fluide de la Torpille
font entièrement femblables en plufieurs points
à ceux du fluide éleéfrique accumulé dans la bou-
( î) A m a n i t . E x o t , 1712. p , 514.
E e e