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quantité fur le grand banc ; qu’ils y font plus rares
dans le mois d’Août, faifon où l’on ne trouve
plus dans ces mers ni de Harengs, ni de Capelans,
& où paroiffent ordinairement les Chiens de mer,
qui font fuir toutes les autres efpèces de poiffons;
que l’on recommence à prendre des Morues au
mois de Septembre ; qu’elles abondent encore
davantage au mois d’Oétobre | &■ que la pêche
s’en continue pendant une partie de ce mois, ou
même jufqu’à la fin, tant que les glaces ne couvrent
point encore les ports & les bayes qui font aux
environs.
Les lignes dont fe fervent les Pêcheurs de
Terre-Neuve ont fix , huit, neuf & quelquefois
dix lignes de circonférence, & environ foixante-
quinze à quatre-vingt-dix brades de longueur ; elles
doivent être faites de bon chanvre, & réunir le
double avantage de la fineffe & de la refiftance
du fil, pour ne point trop effaroucher le poïffon,
pour que le Pêcheur fente mieux lorfqu’il y en a
quelqu’un de pris, pour qu’il ait plus de facilité
à les relever, & pour quelles ne fe rompent point
iorfqu’il les retire.
On garnit le bout de ces lignes d’un plomb qui
a la forme tantôt d’une poire & tantôt d’un cylindre
, & dont le poids eft de cinq ou fix livres,
plus ou moins, fuivant la groffeur des lignes* .C’eft
à ce même plomb qu’eft attachée l’empile qui doit
porter le haim ; elle a deux ou trois brades de
longueur, fuivant que le navire eft plus ou moins
élevé fur l’eau. Les Pêcheurs donnent différentes
courbures à leurs haims , chacun adoptant celle
qui lui paroît la plus propre à faifir le poidon de
manière qu’il ne puide échapper. La groffeur des
haims varie audi fuivant le diamètre des lignes.
Le choix des appâts eft un des objets les plus
importants pour le iùccès de la pêche. Les Morues
font très-voraces ; elles avalent tout ce qui tombe
à la mer : on leur préfente d’abord un leurre ,
c’eft-à-dire un poidon faélice d’étain ou de plomb,
ou dmplement un morceau de drap d’une couleur
éclatante ; mais fouvent elles refufent de mordre
à cet appât : alors on y fubftitue des morceaux
de viande falée ou de lard, qui, ayant été altérés
par le voyage, ne font plus propres à la nourriture
de l’équipage ; on employé encore des morceaux
de Hareng falé ou de Maquereau ; les Grondins,
les Sardines, les Capelans , & divers Cruftacées
& coquillages , peuvent audi fournir de très-bons
appâts. Mais on n’employe la plupart qu’avec
économie, parce qu’ils font rares.
Enfin, comme la voracité des Moruesdes porte
à fe manger les unes les autres, on fait fervir
quelques parties de celles -qui ont été prifés à en
attirer de nouvelles, employant, à cet edet, le
coeur, ou les entrâille$, ou les mâchoires fanglantes
d’une Morue récemment pêchée, mais jamais les
foies , que l’on met à part pour en retirer de
l’huile.
^ es ya iffçaux & autres bâtiments qui v o n t à
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la pêche de la Morue qu’on deftine à être féchée ^
mouillent l’ancre dans uneanfe qui forme, autant
qu’il eft poflible , un abri fûr. On établit à terre
l’échafaud pour la préparation du poiffon ; on arme
entùite les bâtiments, qui, dès le matin, partent
tous pour fe rendre au lieu de la pêche. Quelques
chaloupes, montées par quatre ou fix hommes, ne
pêchent point, mais font le batelage, c’eft-à-dire
qu’elies vont prendre le poiffon dans les bâtiments
pêcheurs, pour le porter à l’échafaud, & four-
nifTent des haims & des appâts aux Pêcheurs qui
en manquent.
Dans la pêche de la Morue qui doit être préparée
en verd, les Pêcheurs s’écartent davantage de la
côte , & même la perdent ordinairement de vue.
On a pu juger, par ce qui a été dit plus haut,
qu’on n’employe que des lignes Amples pour la
pêche des Morues. Sur le grand banc , chaque
Pêcheur, établi dans un baril dont les bords font
garnis d’un bourrelet de paille, file fa ligne de
trente, quarante , cinquante braffes, ou même
davantage, fuivant la profondeur de l’eau , la
vîteffe de la dérive & la force des courants. La
ligne cale ordinairement jufques fur le fond, à
l’aide du poids de plomb dont elle eft leftée.
L’ufage des François &. des Anglois eft de traîner
la ligne, dont le mouvement fuit la'dérive du
bâtiment. Néanmoins quelques Pêcheurs, à l’imitation
des Hollandois, qui pêchent au nord de
l’Europe, hâlent leurs lignes de temps en temps
de quelques braffes, . & les laiffent tout-à-coup
retomber, foit pour empêcher les Morues de flairer
les appâts, & de les abandonner, comme elles
font quelquefois, lorfque la ligne refte fans agitation
; foit pour mieux leur taire illufion , par
les mouvements de l’appât qu’elles* pourfuivent,
comme fi c’étoit un poiffon vivant.
Les Pêcheurs doivent avoir le taél fin, pour
relever leur ligne aufli-tôt qu’un poiffon a mordu
à l’appât ; lorfque le poiffon eft gros, ils le font
aider par. un fécond pour le tirer à bord ; l’un
d’eux dégage enfuite le haim du gofier de la Morue,
& accroche celle-ci par le derrière de la tête à
un petit infiniment de fer nommé Elangueur ou
Diguet. Si la Morue eft deftinée à être féchée, on
lui fait une incifion auprès de l’articulation des
mâchoires, & on lui enlève ce que les^êcheurs
appellent la langue de la Morue, c’eft-à-dire un
morceau de chair dont la langue proprement dits
ne fait qu’une partie.
Dans la contrée de Sundmeur en Norwege, on
employé, au lieu de haims, pour la pêche de la
Morue, un filet en nappe , chargé par le pied d’un
left fait avec des pierres que l’on met dans de
pe its facs , ou que l’on perce à un de leurs angles
pour y faire paffer la corde qui doit les tenir luf-*
pendues au filet. La tçte du filet eft flottée avec
des morceaux d’une efpèce de faule, dont le bois
eft léger, & qu’on appelle Saule Marceau (Salix
Cap ma. L in . ) Qn tend ce filet dans une fituation
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verticale, de manière que le left dont il eft chargé
pofe fur le fond. Plus de la moitié des Pêcheurs
de Norwege préfèrent aujourd’hui cette manière
de pêcher la Morue , & la regardent comme plus
avantageufe que la pêche aux haims.
Il npus refte à expofer, d’une manière abrégée,
ce qui concerne la préparation des Morues. En
France , pour préparer ce que l’on appelle la
Morue verte, on commence par l’élanguer, c’eft-
à-dire lui ôter la langue. Nous avons dit qu’on
élanguoit aufli la Morue qui devoit être féchée ;
mais alors cette opération fe fait à l’inftant même
où l’on vient de retirer l’hameçon, au lieu qu’ici
on la fait plus tard. Quand la Morue eft élanguêe,
on Yétête ou on la décolle ; on met le foie à part
dans un baril, & quelquefois on conferve aufli les
oeufs, pour les faler & en faire de la réfure ; enfuite
on habille la Morue 3 ce qui fe fait en l’ouvrant
depuis la gorge jufqu’à l’anus, appellé improprement
le nombril 3 & à ôter dans cette étendue la j
groffe arrête ; ce qui s’appelle defoffer.
Pour mettre les Morues dans leur premier f e l ,
on leur en fait entrer dans le corps le plus qu’on
peut, & on leur en frotte la peau; puis on les
range par lits , dans un> endroit partictflier de
l’entrepont ou de la ..cale du vaiffeau, mettant
toujours une couche de fel entre deux lits fuc-
cefiifs. Les Morues relient ainfi en pile pendant
vingt-quatre ou quarante-huit heures, j.ufqu’à ce
qu’elles aient jette leur eau & leur fang ; on les
change enfuite de place, &. on les fale, comme
l’on dit Y à demeure , en les arrangeant une fécondé
fois par lits, entre lefquels font de nouvelles couches
de fel. Les bâtiments étant de retour au port
où eft leur deftination, on les décharge, & après
avoir tiré les Morues de la cale, on les porte dans
des magafins frais, mais exempts d’humidité, où
elles fe confervent jufqu’au printems-, pour être-
enfuite tranfportées & diftribuées dans les différentes
parties du royaume.
L’ufage où l’on eft en France de ne point ouvrir
entièrement les Morues en les déshabillant, fait
qu’elles confervent une forme arrondie du côté de
la queue ; de-là le nom de Morues rondes qu’on
leur a donné.
Les Anglois, au contraire , ainfi que les Hollandois,
enlèvent la groffe arête toute entière, &
pour cet effet ouvrent les Morues dans toute leur
longueur, &. les habillent comme l’on dit à plat ;
c’eft ce qui a fait donner à ces Morues le nom de
Morues plates. Cependant il y a des endroits en
France où l’on habille aufli les Morues à plat.
Les Hollandois, après avoir habillé les Morues,
comme on vient de le dire, les falent en tonnes
.ou en barils, dans lefquels ils l'es rangent par lits,
avec des couches de fel interpofées. Cette opération
eft femblable à celle dé la falaïfon des
Harengs. ( Voye^ H a r en g .)
Quant aux Morues que l’on a deffein de faire
fécher , après les avoir décollées&"leur avoir
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ôté le foie &. les oeufs , ainfi que la groffe arête ,
on leur donne un premier fel, comme aux Morues
que l’on prépare en verd. Tout cela fe fait fur un
échafaud établi au bord de la mer, & dont nous
avons déjà parlé.
On lave enfuite les Morues, & on les étend
une à une fur la greve, la chair en haut, &. de
manière qu’elles ne fe touchent pas ; quelques
heures après on les retourne , poür leur mettre la
peau en haut : on recommence ces opérations
pendant plufieurs jours, avec cette différence qu’au
lieu d’arranger les Morues une à une, on les mec
par paquets ou par piles , qui vont toujours en
croîffant, en forte que le fixième jour les piles
font de trente , quarante, & même cent quintaux.
On empile de nouveaux les Morues à plufieurs
reprifes , mais à de plus grands intervalles de
temps, qui augmentent fucceflivement depuis
quinze jours jufqu’à cinquante. Le plus fouvent,
avant de commencer une nouvelle pile, on étend
les Morues une à une , pendant quelques heures t
fur la greve. On défigne les divers empilements ,
en difant que les Morues font à leur premier, ou
à leur fécond, ou à leur troifième fo le il, &c. fuivant
qu’on les met en pile pour la première , ou la
fécondé, ou la troifieme fois , &c. Ordinairement
les Morues reçoivent dix fo le ils , avant d’être entièrement
féchëes ; enfuite on.les embarque, en
les arrangeant dans la cale du navire.
On appelle Morue blanche , celle qui a été féchée
promptement, & fur laquelle le fel, en fe portant
à la furface , a laiffé une efpèce de croûte blanche*
La Morue noire , pinnèe ou brumèe , eft celle qui ,
par une defliccation plus lente , a fubi un commencement
de fermentation, en forte qu’une partie
de fa graiffe , qui s’eft portée à la fuperficie , fe
combinant avec le fe l, y a •laiffé une forte dé
poufliëre grife & quelquefois brune, diffribuée par
taches.
Les peuples du Nord, voifins des lieux où Ce
fait la pêche de la Morue , employent, pour la
préparer , quelques procédés particuliers , dont le
plus connu eft celui qui confifte â deflecher ce
poiffon fans fel, en le fufpendant par la queue
au-deffus d’un fourneau, ou en l’expofant au vent
du nord, qui règne dans ces contrées pendant le
printems. Les Morues, par cette defliccation, acquièrent
une dureté égale à celle du bois, d’où
leur eft venu le nom de Stocfish, Stocvïsh , ou
Stockfisk 3 qui fignifie Poiffon en bâton. Quelques-
uns penfent que le mot de Stocfish veut plutôt
dire Poiffon à billot, parce que quand1 on apprête
le Stocfish , avant de le manger, on le bat fur un
billot, pour le rendre plus tendre. ( Extrait die
Traité des Pèches de M. D u h am e l , fécondé partie y
feltion première. )
M o r u e b a r b u e . Voyeç L in g u e .
M o r u e d e S a in t -P ie r r e . Voye% A n o n .
M o r u e f r a îc h e , (petite) On a donné aufli
ce nom au Tacaud. Voye£ ce mot*