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que la nature avoit placé au fond des mers, &
cette découverte étoit réfervée au fiècle où une
phyfique fublime avoit reconnu ce même appareil
jufque dans les nuages qui portent la foudre.
Avant d’entrer dans les détails de cette intéreffante
découverte , nous allons donner la defcription des
parties extérieures de la Torpille, en y joignant celle
des organes dans lefquels réfide la propriété qu’a ce
poiffon d’engourdir ceux qui le touchent.
La figure de la Torpille , abftraétion faite de fa
queue, eft celle d’un cercle dont on auroit détaché
un fegment dans la partie qui répond à l’extrémité
fupérieure de l’animal. Ses yeux font petits, & en
grande partie recouverts par une membrane. Il y a
derrière les yeux deux amples ouvertures * d’une
forme arrondie ôt crenelées fur leurs bords. On croi-
ro it, au premier afpeâ, que ce poiffon n’a point de
tête, tant il a cette partie large, & tant elle paroît fe
confondre avec le corps. Sa gueule eft femblable à
celle de la Raie ; fes dents font petites &. aiguës. Ses
narines font placées auprès de la gueule & à demi
couvertes. Il a deux nageoires fituées un peu au-
deffus de l’anus , & deux autres dans la partie
oppofée , où elles s’élèvent fur la dernière moitié
de la queue , à une petite dîftance l’une de l’autre.
Les ouies font fituées dans la partie inférieure
du corps , au nombre de cinq de part & d’autre ,
comme dans les poifïons cartilagineux plats. La
chair de l’animal eft molle au toucher. Toute la
peau, principalement vers les bords de la tête,
ainfi qu’à l ’extrémité dé la furface fupérieure, &
à la naifiance des nageoires, eft percée d’une
multitude de petits trous, dont on exprime aifé-
ment une liqueur qui paroît deftinée à lubrifier
l’animal. La couieur du corps eft d’un jaune fale.
Le deffus eft marqué de cinq taches difpofées
comme aux cinq angles d’un pentagone. En
oblervant ces taches avec attention, on s’apper-
çoit que le milieu eft d’un bleu obfcur , entouré
de deux bandes circulaires concentriques, dont
l’intérieure èft d’une couleur noire, & l’extérieure
d’une couleur blanchâtre. (W i l l u g h b y ).
Selon Willughby, ce poiffon ne prend pas beaucoup
d’accroiflemeut, &. Salviani rapporte qu’il
n’a jamais vu de Torpille qui pesât plus de fix
livres. Mais M. Walsh, Membre du Parlement
d’A ngleterre , & de la Société Royale de Londres ,
a découvert, dans la baie de T or , deux poiffons
de cette efpèce, qui étoient d’une grandeur con-
fidérable , & dont l’un ayant été meluré, fe trouva
avoir quatre pieds de long, deux pieds & demi
de large, & quatre pouces & demi dans fa plus
grande épaiffeur;il pefoit cinquante-trois livres(i).
Rondelet diftingue quatre efpèces de Torpilles.
La première eft celle qui vient d’être décrite. La
fécondé diffère de celle-ci, en ce que les cinq
taches dont elle eft marquée font noires dans
toute leur étendue, fans aucune bordure parti-
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culière. La troifième a des taches de différentes
figures Sc éparfes fans aucun ordre. La quatrième
n’a aucunes marques fur toute l’étendue de la
peau. Mais Willughby regarde ces prétendues
efpèces comme de fimples variétés accidentelles.
Selon les deux Auteurs que nous venons de
citer, la chair de la Torpille doit être profcrite des
tables , comme étant humide, molle & foîigueufe.
Elle eft d’ailleurs d’un goût défagréable. Aufli en
fait - on peu de cas. Ce lentiment ne s’accorde pas
avec celui de Lemery, qui prétend que la chair du
même poiffon eft bonne à manger , tendre ôt
faine. On trouve la Torpille fur les côtes du Poitou,
de l’Aunis, de la Gafcogne & de la Provence. On
le trouve auffi fur les côtes de l’Angleterre.
Les organes (z) dans lefquels réfide. la faculté
qu’a la Torpille d’,engourdir & de donner des le-
couffes, font fitués de chaque côté du crâne &
des ouies , d’où ils s’étendent jufqu’aux cartilages
demi - circulaires qui forment les deux grandes
nageoires, latérales du poiffon , en même temps
qu’ils fe prolongent longitudinalement, depuis l’ex-
trêmilé antérieure^du corps de l’animal, jufqu’au
cartilage tranfverfal qui fépare la poitrine de l’ab-,
domen. Ils occupent, entre ces limites, tout l’ef-
pace compris depuis la peau de la partie fupérieure
du poiffon, jufqu’à celle de la partie inférieure.
Leur plus grande épaiffeur eft vers celui de leurs
bords qui eft fitué près du centre du poiffon, ôc
ils vont en s’aminciffant par degrés vers les extrémités.
Le bord intérieur longitudinal de chaque
organe eft évuidé inégalement, ayant une figure
exaéiement aflortie aux avances irrégulières que
forment la tête'& les ouies. Le bord extérieur longitudinal
eft courbé en arc alongé ; l’extrémité
anterieure repréfente un fegment de petit cercle ,
ôt l’extrémité oppofée fait prefque un angle droit
avec le bord intérieur. Chaque organe eit attaché
aux parties environnantes par une membrane cellulaire
dont le tiffu eft ferré , & auffi par des fibres
tendineufes, courtes <$t fortes , qui s’étendent tranf-
verfalement & en ligne droite, du bord extérieur,
des organes, jufqu’aux cartilages fenfi-circulaires.
Sous la peau qui recouvre l’organe en-deffus &
en-deffous , eft une efpèçe de bande étendue fur
tout l’organe. Elle eft compofée de fibres qui fé
prolongent dans le fens de la longueur du corps.
Les bords de la bande s’unifient étroitement avec
la peau de l’animal, & à la fin paroiffent dégénérer,
ou fe confondre avec la membrane cellulaire
de la peau.
Immédiatement au-deffous de la membrane dont
on vient de parler, il y en a une autre qui eft
de la même nature, & dont les fibres croifènt
celles de la première. Le bord intérieur de cette
fécondé membrane fe perd dans l’autre membrane.
Les bords qui correfpondent aux trois autres
côtés font en partie attachés aux cartilages femif,
O f Torpédos found on the coafi o f England, p. 4. (2) Anatom, Ohferv, on the Torpedo | by John Hunter ^
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circulaires, & en partie confondus avec la membrane
cellulaire commune.
Cette même bande intérieure que nous venons
de décrire paroît fe continuer dans l’organe'par
une multitude de prolongements, & par-là former
les pans membraneux ou les enveloppes des
colonnes dont nous allons parler. Entre ces prolongements
, la membrane recouvre l’extrémité
des colonnes , en formant leur cloifon extérieure
ou la première. Chaque organe , dans une Torpille
obfervée par M. Hunter, avoit environ cinq
'pouces de longueur ; Ion. extrémité antérieure
étoit large de trois pouces, & l’extrémité pofté-
rieure avoit un peu plus de la moitié de cette
même largeur.
Les colonnes ou prifines qui compofent en entier
les organes dont il s’agit, font dans une direction
perpendiculaire aux deux furfaces du corps ,
entre lelquelles elles s’étendent, en variant dans
leurs hauteurs , fuivant les différentes épaiffeurs
des parties où elles font fituées. Les plus longues
colonnes avoient, dans l’individu cité, à-peu-près
un pouce &. demi de hauteur^ &. les plus courtes
environ un quart de pouce. Leur diamètre étoit
à-peu-près d’un cinquième de pouce.
Les formes des colonnes font ttès-irrégulières,
& varient félon leur fituation & les autres cir-
conftances. Le plus grand nombre forment des
exagones ou des pentagones, les uns & les autres
irréguliers. Mais’ ces irrégularités produifent quelquefois
de jolis prifmes , d’une tgrme quadrangulaire.
Les membranes qui forment les pans des prifmes
font très-déliées, & fembleiit être tranfparentes.
Elles font étroitement unies l’une à l’autre , ayant '
une efpèce de réfeau lâche, compofé de fibres
tendineufes, qui paffent tranfverfalement &. obliquement
entre les colonnes , & qui les unifient
plus fortement l’une à l’autre. Ces colonnes font,
encore attachées par des fibres fortes & non diadiques
qui paffent dire&ement d’une colonne à l’autre.
Le nombre des colonnes paroiffoit être environ
de quatre cents foixante & dix dans chaque organe.
Cependant ce nombre varie félon la grandeur du
poiffon. On a compté jufqu’à onze cents quatre-
vingt - deux colonnes dans un feul organe d’une
très-large Torpille. Ces mêmes colonnes augmentent
, non-feulement en grandeur, mais en nombre,
pendant l’accroiffement de l’animal. Peut-être s’en
forme - t- il tous les ans de nouvelles fiir le bord |
extérieur de l’organe où fe trouvent les plus
petites.
Chaque colonne eft divifée par des efpèces de
c'ioifons horizontales, placées l’une au - deffus de
l’autre à de très-petites diftances, & formant un j
grand nombre d’interftices qui paroiffent contenir j
un fluide. Ces cloifons font formées par une mem- j
brane déliée & fort tranfparente. Elles femblent !
tenir l’une à l’autre par leurs bords, &le tout eft
attaché au-dedans des colonnes par une membrane <
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cellulaire très-fine. Elles communiquent auffi par
différents points de leurs furfaces , à l’aide de petits
vaiffeaux îanguins qui paffent de l’une à l’autre.
Les organes font de plus traverfés par des
artères, des veines , & un grand nombre de nerfs
qui fe ramifient dans toutes fortes de directions
entre les colonnes, & envoyent de petites branches
fur chaque cloifon où ils fe perdent.
Nous pafferons maintenant à i’hiftoire des phénomènes
de la Torpille, en citant ce que lesAu-4
teurs les plus connus en ont écrit.
« J’ai réitéré, dit le fçavant Ôcexaét Redi (1)*’
77 l’expérience par laquelle je pouvois m’affurer de
77 cette vertu que l’on a attribuée à la Torpille d’en-
» gourdir les mains & les bras de ceux qui la tou-
» chent, & me mettre à portée d’en parler avec
7j cette certitude qui caraétérife la fcience.Plufieurs
j) Pêcheurs, fur la demande que je leur en fis,
» allèrent à la pêche de ce poiffon, & en ayant
» pris un, me l’apportèrent peu de temps après*
j? A peine l’avois-je touché,en le ferrant avec la
>7 main, que j’éprouvai, dans cette partie , un pic-
77 cotement, qui fe communiqua dans le bras &
77 dans toute l’épaule , &. qui fut fui vi d’un trem-
77 blement défagréable , & d’une douleur acca-
77 blante & aiguë dans la pointe du coude, en forte
77 que je fus obligé de retirer auffi-tôt la main (2).
77 La même impreffion fe renouvelloit toutes les
77 fois que je m’obftinois à toucher de nouveau l a
7> Torpille. Il eft vrai que la douleur & le tremble-
77 ment diminuèrent à proportion que la mort de
77 la Torpille approchoit. Souvent même je n’é-
77 prouvois plus aucune fenfation femblable aux
77 premières; & lorfque la Torpille fut décidément*
77 morte , ce qui arriva dans Tefpace de trois
77 heures , je pouvois la manier en fureté , &. fans
77 reffentir aucune impreffion fâcheufe. D’après
77 cette obfervation , je ne fuis pas furpris qu’il y
77 ait des gens qui révoquent cet effet en doute 9
77 &. regardent l’expérience de la Torpille comme
77 fabuleufe , apparemment parce qu’ils ne l’ont
77 jamais faite que fur une Torpille morte oiï
77 près de mourir (3)..
(1) E x p é r im e n ta c ir c à r e s d iv e r fa s n a tu r e le s .
(2) Cet engourdiffement. lelon M. de Réaumur, qui a
fait fur Fa T o r p i l l e plufieurs obfervations que nous rapporterons
plus bas , eft fort different des- engourdiffements-
ordinaires. On reffent dans toute l’étendue du bras une-
efpèce d’étonnement qu’il n’eft pas pofliblé de bien peindre ,,
mais lequel ( autant .que les fentiments peuvent fe faire
eonnoître par eomparaifon) à quelque rapport avec la fenfation
doittour-eufe que l’on éprouve dans le bras lorfqu’on
s’eft frappé rudement le coude contre quelque corps dur*.
M ém . d e l ’A c a d . des S c i c n e e s a n n é e 1714 ,
(3) M. de Réaumur rapporte de liii-mênre qu’il toucha
d’abord impunément à plufieurs- reprifes des Torpilles qui
étoient dans la mer même , & que ce ne fut que quand
elles fe trouvèrent fatiguées y en quelque forte , de fes
attouchements réitérés , qu’elles lui firent éprouver in>r
vertu narcotique. Un peu de précipitation à juger eût
fourni une autorité bien imposante à eeux qui ont mis les-
effets de la Torpille au rang des fables, Mém, i t ïAcad*
des Sciences, idem*