D’après Jean d’Outremeuse, qui écrivait longtemps après, ces nouveaux
deniers étaient appelés stallefrais ou slallefrëais. Ils furent émis tout d’abord
les deux pour un denier liégeois, ou les douze pour un vieux gros; et c’est
ainsi que les débiteurs offraient de payer, tandis qu’il en aurait fallu seize
pour représenter la valeur intrinsèque du gros *.
Cette divergence d’opinions ne concernant qu’un point secondaire, il reste
évident que le denier falsifié de Statte valait à peine un denier tournois 2;
aussi ne doit-il pas être cherché, comme on l’a fait jusqu’ici, parmi les
monnaies connues de Hugues de Chàlon, qui toutes sont d’argent.
Il en est autrement du véritable stallefrèal, qu’un document contemporain
nous apprend à ne pas confondre, comme Jean d’Outremeuse, avec le billon
de Statte. Dans un acte de vente du 1er août 1 2 9 9 3, cette monnaie est
évaluée à « sept deniers et maille tornois » , donc à près de huit deniers.
Or, la valeur du gros ayant été portée à seize deniers, le stallefrèal devait
être une monnaie d’argent représentant un demi-gros. On l’appelait ainsi du
nom d’un individu, peut-être d’un monnayeur, car on trouve un certain
Slallofréal cité dans un document de l’année 134-2 4.
hoc in patria magna dissensio est exorta. Tandem judicatum est a scabinis quod grossus Turo-
nensis pro 8 Leodiensibus, et duo de talibus denariis, qui singulis parvis Turonensibus oequi-
pollerent, pro uno Leodiensi denario solverentur ; et ex hoc communitates adhuc amplius com-
moventur. (Hocsem, dans Chapeauville, t. II, p. 328.)
* 1 2 9 7 . « En cel ain fist li evesque de Liege, Hue de Ghalon, novelle monoie à Huy
qu’ilh nommât stallefrais *, et fist les ii por î liegois. De che fut-li peuple mult esmus et
corochies, car i gros ne valoit que vi liegois et xn stallefrais enssi comptait ons por i vies
gros, de quoy les marchans estoient dechuis, car troveis fut al feu que li vies gros valoit xvi
de ches stallefreais; che fut de perdre à lin gros i gros.
» Cette novelle monoie si at mis grande erreur et débat entre le peuplé en la citeit de
Liege, car qui devoit, si voloit paiier xn stallofreais por i vies gros, et ceas que ons devoit
ne voloient nient moins de xvi ou vi liegois vies, si que les esquevins en jugont le jour le
Saint-Poul, car li plus grans débas estoit por le paiement des cens, que le vies gros ons
paiast dedont en avant por vm deniers aux cens, et de chu s’en movit plus grant débat
qu’en devant entres les paians et les rechevans, car li paians voloient toudis compteir la
novelle monoie les h por i liegois. » (Chronique de J e a n d’O u trem e u s e, t. V, p. 529.)
2 4 2 9 6 . Apud Hoyum in loco qui dicitur A l stat nova moneta fabricatur cere commixta,
v ix valens unum Turonensem. (Zantfliet, Amplissima collectio, t. V, c o l. 137.)
3 Charte de Saint-Lambert, n° 4 4 5 , aux archives de l’État, à Liège.
* Ibid., n° 634.
* Aliàs stallofreais et, aa singulier, sialesfreal.
La honteuse conduite de l’évêque ne trouva nulle part une réprobation
plus énergique que dans le chapitre. Il existait un usage en vertu duquel on
chantait à la cathédrale l’antienne Media v ila , contre ceux qui faisaient
injure au prémier corps de l’État. Cette peine infamante, décrétée contre
l’évéque, principalement pour avoir émis de la mauvaise monnaie, fut d’abord
différée, puis fixée au 2 5 août 1 2 9 9 ; et pour que personne ne tentât d’y
mettre obstacle, le chapitre déclara formellement qu’il ne reviendrait pas
sur sa décision, à moins qu’un nouveau délai n’eût été accordé à l’unanimité
de ses membres '. Il alla même plus loin, et, le 3 1 , il menaça de suspendre
les offices divins à ce propos 2.
Il est probable que le roi des Romains, Albert d’Autriche, se mêla de celte
affaire, mais que, circonvenu par Hugues, pendant son séjour à Toul, il
finit par retirer les édits qu’il avait faits contre lui. On le voit, en effet
reconnaître, par lettres du 5 décembre 1 2 9 9 , que nonobstant ses mandements
adressés à l’évéque, aux nobles et aux villes de Liège, de Huy, de Dînant,
de Saint-Trond, de Tongres, de Fosses, de T h u in , etc., ledit évêque a le
droit de battre monnaie, et que les mandements en question ne peuvent
servir de prétexte pour le troubler dans sa possession 3.
Le surlendemain, Hugues obtint un nouveau diplôme impérial, qui lui
permettait de forger, dans son diocèse, des monnaies féodales du même
poids et de la même valeur que les princes voisins *.
Cet évêque, si peu soucieux des droits d’autrui, paraît avoir été fort jaloux
de ses privilèges, car il fit suspendre, comme préjudiciable au pays, la
fabrication des monnaies commencée par Gérard de Luxembourg, seigneur
de Durbuy, dans ses domaines dépendant de l’évêché de Liège s.
Le règne de Hugues de Châlon est. remarquable par une décentralisation
monétaire que l’on continue à constater sous Thibaut de Bar.
1 Lettres du 11 août 1 2 9 9 , dans S c h o o n b ro o d t, Inventaire des chartes de Saint-Lambert
n° 446.
2 M a rtè n e et D u r a n d , Amplissima collectio, 1.1 , col. 1402.
3 Pièces justificatives, n” III.
* Ibid., n" IV.
3 Charte du 12 novembre 1 2 9 8 , publiée dans ta Revue belge de numismatique, année 1860,
p. 362.