
Polype qui étoit encore attaché à fa mere. Jefaifis
le moment que leurs tetes & leurs bras etoient tournés
vers des endroits différons, je fis tomber alors un
petit Ver fur les bras du jeune Polype. Dans l’inf-
tant la mere tourna la tê te , & fe mit en devoir de
faifir ce Ver. Souvent en pareil cas je l’ai laiffé
prendre par la mere ; mais cette fois je retirai le
petit Ver de l’eau, & puis je coupai entièrement les
bras à la mere, je lui coupai la tete, & je redonnai
enfuite le Ver au jeune Polype, comptant qu’il ne
pouvoit plus lui être ravi. Apres le lui avoir vu faifir,
je ceffai de l ’obferver, & je revins le confidérer
environ au bout d’une demi-heure. Je vis alors une
chofe à laquelle je ne m’attendois pas. La mere
avoit les lèvres renverfées en dehors fur le refte de
fon corps,& leV e r , que je comptois de trouver dans
l’eftomac du jeune, étoit en train d’entrer dans celui
de la mere, je ne dirai pas par fa bouche, mais par
l’ouverture que formoient, à l’extrémité de ce tronc
fans tête, les bords renverfés du bout antérieur de
cet Animal ainfi mutilé. Je ne difcontinuai pas de
l’obferver, jufqü’à ce que j’euffe vu le Ver entière-
ment avalé.
C es Faits, que je viens de rapporter, me firent
foupçonner que les Polypes avoient un fentiment
qui leur faifoit appercevoir leur proie; & cela me
rendit plus attentif à remarquer tout ce qui pouvoit
confirmer, ou détruire ce foupçon.
J’Ai vu diverfes fois des Polypes fixés fur des branches
de Prêle, qui étaient dans mes poudriers, ramener
leurs bras vers des Mille-pieds qui rampoient
fur ces Plantes, & les faifir, J’A i
J’a i mis au fond de grands verres, au haut defquels
étaient fixés quelques Polypes à longs bras; j’ai mis,
dis-je, au fond de ces verres un Ver qui- ne pouvoit
pas nager ; f j’ai même fait enforte qu’il ne bougeât
pas de la place où je l’avois mis. Mon intention étoit
de voir fi les Polypes,qui en étoient éloignés de cinq
à fix pouces, Je viendroient chercher avec leurs bras.
C ’eft ce qui eft arrivé fouvent.
• L o r s q u ’ o n obfirve un Animal, il eft bien naturel
de chercher s’il a des y eux; mais il eft fur-tout
naturel de les chercher dans un Animal, auquel on a
apperçu un penchant marqué pour la lumière. Je
n’ai donc rien négligé, .pour m’affùrer fi Les Polypes
avoient des yeux. Il n’y a aucun endroit de leur
corps , que je n’aie obfervé avec foin , à la loupe, &
âu microfcope : mais je h’ai jamais pu parvenir à découvrir
aucune partie, qui, par fa fituation, ou par
fa ftruéture , me donnât lieu de foupçonner qu’elle
étoit un oeil.
Q u o i que je n’aie point apperçu d’yeux dans les
Polypes, & quand même les plus habiles Obferva-
teurs , aidés des meilleurs microfcopes, n’en décou-
vriroient point, il feroit téméraire, ce me femble,
de décider qu’ils n’en ont point, & fur-tout de décider
en général, qu’ils n’ont pas une manière d’apper*
cevoir la lumière & Les objets qu’elle éclaire. Il eft
plus convenable, lorfque les Faits manquent dans de
pareilles Recherches , de fufpendre fon jugement,
que de faire des Décidons, qui, dans le fond, fup-
pofent prefque toujours, que la Nature eft auffi bornée
que les facultés de ceux qui l’obfervent.
P Q uel