L E SPHARGIS.
La seule espèce de ce sous-genre, que déjà Rondelet a désigné sous le nom de
T e s t u d o coriacea, ressemble, abstraction faite de l'organisation de son épiderme,
aux autres tortues de mer. Les dimensions lourdes et massives du corps, la forme
de sa carapace, celle de la tète, des extrémités alongées en nageoires, la place qu'oecupent
les narines, l'organisation des parties molles, sont autant de caractères qu'elle
a en commun avec les Cbé Ioni ens proprement dits; mais les proportions relatives
des différentes parties et l'organisation particnlière de quelques-unes d'elles l'éloignent
beaucoup du prototjpe.
Le volume de la tête, comparé k celui du corps, est peu considérable, et le cède
en grandeur à celui de la Caouanne ou Chelonia cepbalo; sa forme est plus arrondie,
plus conique et plus émoussée.
Les bords de la mâchoire supérieure sont pourvus, de chaque coté, d'une échancrnre
profonde; une troisième se trouve en avant à la suture de ces os. Les bords
antérieurs des maxillaires forment en descendant, de chaque coté, une saillie, qui
tient en quelque sorte lieu de canines. Le tranchant des mandibules ainsi armé est
puissamment secondé dans ses fonctions par celui de la miîchoire inférieure, qui en
montant est terminée en une pointe très-aiguë. Mais l'avantage qui résulte d'un pareil
moyen de défense et qui manque aux autres tortues de mer, est restreint en ce
que les mandibules sont privées de Fenveloppe cornée, commune à la plupart des animaux
de cette classe; car l'épiderme dont le crâne est enveloppé recouvre aussi chez
le Sphargis, tout le pourtour des mandibules, où il est seulement d'une substance
plus dure.
Les extrémités antérieures sont proportionnellement plus longues que dans aucune
autre espèce; celles de derrière ont les dimensions ordinaires: leur développement
comme organes destinés à la natation atteint dans cette espèce, le plus haut degré
de perfection; vu que les doigts sont totalement dépourvus d'ongles et se confondent
tellement dans la masse générale des pieds que seulement les pouces sont indiqués, la
surface, par une faible saillie. La queue excède en longueur celle des autres tortues de
mer; elle dépasse de beaucoup l'extrémité postérieure de la carapace, dont le bout prolongé
en pointe ressemble par sa forme à une seconde queue; mais les dimensions caudales
varient chez les différens individus par des modifications plus ou moins marquées,
dues soit à quelque lésion accidentelle ou simplement au hasard, comme le
prouve l'individu figuré Planche 1, chez lequel cette pointe de la carapace dépasse
en longueur celle de la queue.
L'ensemble de la boite osseuse est très-oblong; sa partie inférieure ou le plastron,
quoique moins grand, a ses contours parallèles à ceux de la carapace ou partie supérieure;
celle-ci est munie dans toute sa longueur de sept arêtes qui, en se réunissant
viennent aboutir à l'extrémité postérieure; le plastron porte trois arêtes semblables,
mais elles sont moins prononcées; on en voit en outre une de chaque côté de
la jointure des deux couvertures.
Les intervalles entre ces arêtes sont très-évasés, principalement ceux de la carapace,
qui forment six sillons très-profonds. En examinant ces parties de plus près,
on les trouve organisées d'une manière toute particulière, vu que la partie solide de
la carapace n'est dans cette espèce que le résultat de la réunion d'une quantité innombrable
de petits os plats, orbiculaires ou polymorphes comme les os wormiens du
crâne, qui s'engrènent les uns aux autres par des sutures dentelées, formant ime
voûte très-mince et peu solide; elle est supportée par les côtes dont la surface, du
moins dans les jeunes individus, n'est point élargie et qui demeurant libres dans
toute leur étendue, se collent à sa face interne; l'espace intermédiaire entre les côtes
et cette fausse carapace est rempli de lard.
Cette carapace est recouverte à l'extérieur par un épiderme noir et lisse, dont le
peu d'épaisseur permet de voir à l'extérieur et chez les individus sechés les sutures
de ces petits os, ce qui fait paraître ces parties comme étant couvertes de figures en
forme d'écaillés; ces écailles sont plus fortement prononcées dans les jeunes individus,
chez lesquels leur base n'est pas encore complètement ossifiée. Les autres parties
du corps sont enveloppées d'une peau épaisse et coriace qui, étant séchée, imite
la texture du feutre. Les deux paires d'os du plastron, collées à sa surface interne,
sont en forme de fourche; leur ensemble est disposé en anneau oblong et elles correspondent
aux crêtes latérales du plastron, dont elles bordent le contour.
Il résulte de la description de l'organisation de la cuirasse chez le Sphargis , que
cette partie est susceptible d'un certain degré de dilatation, et qu'elle doit cèder
aux influences, auxquelles les boites osseuses des autres tortues résistent facilement,
vu la réunion plus intime des os dont elles sont formées.
Les particularités énoncées ci-dessus contribueront sans doute à faire adopter certaines
modifications dans les indications, établies par les auteurs^ pour caractériser
l'ordre des Tortues, vu qu'il est impossible de généraliser une même construction
de la carapace à toutes les espèces.
Les os du Sphargi s sont d'un tissu beaucoup plus fibreux que ceux des autres
tortues; la gélatine s'y trouve aussi en raison du phosphate de chaux, dans une proportion
plus considérable. Manquant de cavités médullaires et enveloppés d'un périoste
mince et peu dur, ces os surchargés de porosités, ont peu de pesanteur spécifique et
offrent très-peu de consistance. La chair de ces animaux étant très-huileuse, ce fluide
entre dans la substance des os; il imbibe leur tissu spongieux et cellulaire, et ne
suinte pas même, lorsqu'ils ont été long-temps exposés aux rayons du soleil; ce qui
fait qu'ils ressemblent, à s'y méprendre, aux os des Cétacés proprement dits et
surtout à ceux de quelques poissons, dont la chair abonde en huile, tels que les
S c o m b r e s etc.
En comparant le crâne du Sphargis à ceux des autres Chéloniens, on est frappé
de la saillie des intermaxillaires, de la forme singulière de la mâchoire supérieure,
taudis que l'inférieure se distingue par sa grande simplicité. Les frontaux vont en
pointe et s'avancent jusqu'aux bords antérieurs des nasaux. L'os occipital supérieur,
qui dans les autres Tor tues de mer est prolongé en pointe, reste caché sous les
pariétaux; ceux-ci ont leur bord postérieur comme festonné par de nombreux sillons,
qui s'étendent jusqu'au sommet de la tête, et offrent par ce plan raboteux un point
favorable d'insertion aux muscles moteurs de la tête. Mais les formes du crâne sont
loin de demeurer les mêmes dans les différentes périodes de la vie, et elles varient
môme selon les individus. Le criinc des jeunes ressemble à celui de la Tor tue franche.
Nous avons dessiné le creine d'un individu à l'état d'âge-moyen, pl. 2. fig. 3;
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