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mandre tachetée et la Salamandre unguiculée, qvii habitent les îles de
Nippon et de Sikok. Les deux autres, la Salamandre à créte oblitérée et la
Salamandre nébuleuse — véritables Salamandres aquatiques — ont été observées
aussi au sud du Japon, dans les environs de Nagasaki. Mais celles que l'on
rencontre le plus fréquement sont la Salamandre unguiculée et la Salamandre
à crête oblitérée; la première, unique dans son genre à cause des ongles qui
lui viennent pendant le temps du frai, quitte souvent la nuit les sources ou elle se
retire, pour émigrer dans les combres ou elle grimpe le long des rochers escarpés
couverts de mousse. La dernière se plait dans les eaux stagnantes dans les rivières
et dans les puits; elle y prend les mêmes habitudes que notre Salamandre à crête
d'Europe à laquelle elle ressemble au premier coup d'oeil; mais dont elle diffère par
son organisation, ainsi que Ta démontré M. Schlegel.
Jusqu'à présent j'ai parlé des reptiles japonais, de leurs habitations et de leurs
moeurs et de leurs habitudes sans décrire leur individu et leur organisation. Je
n'aurai fait que nuire à la science sans contenter nos lecteurs en donnant des fragmens
de cette partie essentielle de la_ F a u n e du Japon qui a été traitée à fond
par M.M. mes collaborateurs. D'ailleurs tous les reptiles japonais sont représentés
dans notre ouvrage par des dessins fidèles h la plupart de grandeur naturelle.
Ils sont exécutés avec une telle perfection qu'on les préférera sans nul doute à une
description superficielle. J'ai déjà dit que je ne voulais rien négliger pour nous
mettre au niveau des progrés de la science, et ce but n'aurait point été atteint, si
mes collaborateurs et moi n'avions surveillé sévérement l'exécution matérielle de
notre Faune. L'art du dessinateur est indispensable dans les travaux d'histoire naturelle,
et ses produits sont encore un objet de curiosité, lors même que de nouvelle
« découvertes viennent éclipser les premières. Je ne veux point me faire ici le
panégyriste de cet art qui fait revivre les animaux et les plantes aux yeux de celui qui
s'occupe des sciences physiques; mais je ne puis m'empêcher de rendre un éclatant
hommage à M. Mulder qui nous a révélé tout son talent d'artiste dans les dessins de
reptiles en général et principalement dans les Tortues d'eau douce, les Sauriens
et les Batraciens, qui répondent sous tous les-rapports aux exigeances de l'état
de la science. Je n'ai pas besoin d'ajouter, que M. Mulder est naturaliste de profession.
Si j'avais à décrire les reptiles d'un de nos pays éclairés d'Europe j'aurais peu de
chose à dire, tant les animaux ont provoqués l'attention du peuple crédule ou ont
été l'objet de sa vénération superstitieuse. Les fables des temps réculés ont perdus
chez nous leur crédit, les progrès de l'esprit humain ont réduit à leur juste valeur
les symboles religieux que représentaient les diiTérens animaux de l'antiquité, et la
chemie analytique et des expériences dégagées de préjugés ont détruit la foi qu'on
assurait à leurs vertus medicales.
Les Japonais, copistes fidèles de tout ce que l'antiquité chinoise a eu d'extraordinaire,
ont conservé jusqu'à ce jour leurs idées superstitieuses. Chez eux la Tortue
Mmogame, c'est-à-dire tortue à manteau, est régardée comme symbole de la vieillesse,
l'une de sept félicités de la vie humaine. Les pointures et les arts plastiques la reproduisent
sous différentes formes et sous différens attributs et on la représente sur
les ustensiles sacrés et les objets de luxe. On y réconnait un individu très vieux
de noti-e E m yde vulgaire, ayant la cuirasse couv^erte de conferves parasitiques.
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Cette tortue mystérieuse est aussi représentée sous le nom San kïok no gamé, qui
signifie tortue à trois pierres précieuses; elle porte sur le dos un rocher terminé par
trois pierres sphériques.
La secte de Tao en Chine et le Bouddhisme se sont chargés de la renommée des
Chéloniens fabuleux, les hermites et les moines mendians, pour frapper l'imagination
des hommes crédules, ont adopté, entre autres animaux symboliques, des
tortues comme compagnes de leur solitude, parceque la tradition vulgaire plaçait
ces reptiles auprès dos dieux dispensateurs de la fortune et leur attribuait à eux mêmes
la puissance de porter bonheur aux lieux dont ils faisaient leur séjour. Un autre
animal non moins miraculeux est le Koewaiaro, monstre à figure de singe et à cuirasse
de tortue, doué d'une force prodigieuse. Il est un objet de terreur pour la
population des campagnes, chacun en parle sans jamais l'avoir vu; et cependant les
spéculateurs en font des modèles pour tromper le public et les médecins-naturalistes
peu instruits.
Les apparitions et les disparitions soudaines du Tokagué, son immobilité momentanée,
la fixité de son regard lorsqu'il rencontre un homme ou quelque autre
créature animée, sa couleur brillante et son contact glacial, sa bouche béante qui
ne laisse échapper aucun son; tous ces caractères étranges durent accréditer les récits
répétés depuis des milliers d'années sur ce diminutif du Crocodile, de ce monstre,
objet d'horreur et d'effroi pour tous les peuples. Les Chinois appellent le Tokagué
Chilongtsè, fils du dragon de pierres, et Chan lông isè, fils du dragon de montagnes
ou Thsûcnlong, dragon de sources; les Japonais expliquent ces noms en disant, qu'il
vomit la grêle et qu'il fait, par ses prières, descendre la pluie du ciel. Les différentes
couleurs de sa robe qui varie suivant le sexe et l'âge, ont fait dire encore
qu'il change de couleur douze fois dans le cours de l'année. Des lézards et des
serpens d'une grande taille ont servi de modèle primitif pour représenter le Dragon,
célèbre jusqu'à ce jour chez les peuples du nord-est de l'Asie. Et probablement les
découvertes successives des animaux fossiles gigantesques et de formes bizarres ont fourni
des matériaux aux idées fantastiques des anciens Chinois, pour en emprunter le type
des différentes espèces de Dragon, qu'ils représentent dans leurs ouvrages O; car
outre le Dragon vulgaire, le Lông, ils figurent le Khieôulông ou Dragon à corne;
le Kiaolông ou Dragon écailleux; le YùUng ou Dragon de pluie et le Ing lông ou
le Dragon ailé; le dernier nous rappelle le Ptérodactyle, ce reptile volant, tandis qu'un
autre monstre de la mythologie japonaise le Wani sanié, Crocodile-squale, nous représente
quelques traits des Crocodiles fossiles, dont les débris ont été trouvés en Europe.
Des contes merveilleux s'attachent à ces emblèmes, et nous retrouvons même
chez les Japonais des traditions analogues aux mythes de l'ancienne Grèce, relatif
à l'Hydre de Lerne. Le héros Yamatotaké au Japon secondé par son ami Kôkanosamoura
s'immortalisa par un exploit assez semblable à celui d'Hercule et de
son compagnon Yolas, en abattant le dragon à huit tètes le fameux Yats' kasira,
qu/ dévastait la provinec de Yamato. On accordait les honneurs divins à ce monstre qui
(1) Celte asserlion est prouvée par la clénominalion des os fossiles du Mammout h qui s'appellent eu chinois/OB^-Ao
( d i a l . jap. Limthots) i. e. ossemens de Dragon.