
V o y a g e
un si mince intérêt : Craignant peut-être
une sortie un peu trop énergique de notre
part, dans un lieu où le bois ne manquoit
pas, il s’efforça de nous encourager par
d’assez mauvaises raisons;-et avec toute la
douceur d’un homme qui a tort et qui
craint en même temps , il prétendoit nous
déterminer à nous aventurer dans le chemin
douteux qu’il nous indiquoit. Mais
comme nous ne voulions pas, pour lui
plaire, nous retrouver vers le soir au
point où nous en étions huit jours auparavant
, nous commençâmes à appeler
du côté où nous avions cru entendre la
clochette de quelque troupeau. Effectivement,
un petit berger nous répondit et
vint éclaircir nos doutes , assurant qu’ri
avoit été maintes et maintes fois sur la cime
de la montagne, dont il connoissoit tous
les sentiers. 11 étoit d’une petite ferme
voisine de Castel del piano , et alloit parcourant
la montagne, pour y chercher
un boeuf qui s’y étoit égaré depuis quelques
jours. Comme il ne vouloit pas, pa-çla
crainte qu’il avoit de son père, abandonner
la recherche de son boeuf, il nous
fallut employer beaucoup de promesses
pour l’engager à venir nous accompagner
sur la haute cime. Enfin, il se détermina
à nous suivre. Par bonheur, comme j’allois
en avant, je découvris un boeuf qui pais-
soit paisiblement; je le fis voir à notre
nouveau conducteur qui le reconnut pour
celui qu’il cherchoit. Le jeune berger, persuadé
que ce paisible animal ne songeroit
pas à s’écarter de ce pâturage, et sûr de
retrouver le déserteur au même poste ,
contiuua de nous accompagner avec beaucoup
de joie et d’empressement.
Cependant notre autre guide, humilié
de ce que nous ne le consultions plus,
nous suivoit avec un air boudeur persuade
peut-être que nous lui faisions une grande
injustice de ne vouloir plus nous égarer
sous sa direction, il étoit tellement jaloux
de ce simple berger qu’il voyoit joyeux
et content , qu’il ne voulut jamais lui
adresser la parole ; et plus nous en riions,
plus il enrageoit sous cape.