Cette répugnance de I homnie à quitter les lieux
de sa naissance pour aller vivre et mourir dans des
contrées inconnues, n’était donc pas ressentie alors.
L’homme quittait l’un des plus beaux pays du
monde, l’Orient, pour aller chercher des climats
brûlants ou glacés. Ainsi, n’hésitez pas, si vous
croyez à l’unité de l’homme , dites que les instincts
de l’homme ont changé suivant les époques. La plu-
j)art des hommes nés dans les âges historiques ,
ont tenu à leur patrie et l’ont aimée ; ceux qui les
avaient précédés, n’y tenaient point et préféraient les
contrées désertes. Voilà à quel raisonnement conduit
nécessairement l’opinion habituellement professée.
Cependant, qu’a dit l’un des grands observateurs
de la nature:
« De même que nous avons considéré les instincts
» des animaux, il nous faut dire quelque chose de ceux
» de l’homme physique, mais comme il réunit en lui
» les sentiments des diverses races de la création, tels
» que la tendresse paternelle, e tc ., il faut en choisir un
» qui lui soit particulier.
» Or, cet instinct affecté à l’homme, le plus beau,
» le plus moral des instincts, c’est l'amour de la patrie.
» Si cette loi n’était soutenue par un miracle tou-
» jours subsistant, et auquel, comme à tant d’autres,
» nous ne faisons aucune a ttention, les hommes se
» précipiteraient dans les zones tempérées, en lais-
» sant le reste du globe désert. On peut se figurer
>. ipseiles calamités résulteraient de cette réunion du
)) genre humain sur un seul point de la terre. Afin
« d’éviter ces malheurs, la Providence a , pour ainsi
* dire, attaché les pieds de chaque homme à son sol
» natal par un aimant invincible : les glaces de 1 Is-
* lande et les sables embrasés de l’Afrique ne man-
» quent point d’habitants ^. »
Oui, ces lignes éloquentes de notre illustre Chateaubriand
sont bien l’expression de la vérité. Oui,
l’homme éprouve l’un des sentiments les plus pénibles
qu’il lui soit donné de ressentir, à l’idée d’abandonner
son pays. S’il l’abandonne, c est seulement
poussé par les privations et dans l’espoir encore
d’y revenir un jour plus heureux.
Avant que le monde fût c o n n u , avant que chacun
sût que l’on pouvait vivre à peu près partout, l’homme
éprouvait, à l’idée de s’expatrier, une sorte de te rreur,
qui est devenue rare aujourd’hui.
Ce sentiment si enraciné, qni n ’est vaincu qu’avec
p e in e , n’est-il pas un obstacle sérieux à la diffusion
d’un peuple groupé dans un pays restreint ; et ce sentiment
ne prouve-t-il pas aussi que l’homme est destiné,
par la nature, à vivre dans le pays oû il est né.
On objecte les émigrations qui ont eu lieu à di-
verses époques, les irruptions des barbares du Nord
envahissant l’Italie ; combien en est-il resté de ces
barbares sur la terre oû ils s’étaient répandus? Qu on
aille voir si les caractères physiques du peuple de
Rome, o n t , depuis ce tem p s , emprunté quelques-
uns des traits des habitants du Nord. Non, les hordes
* chateaubriand, Génie du chrislinnisme , cliap. xn.