Il apprit à donner la préférence à certains fruits; il les
soigna exclusivement, et eut le plaisir de les voir s'améliorer
par ses soins. Cette découverte éclaira son esprit de
l'expérience de plusieurs siècles, et lui donna la première
idée de la dignité de son être en lui révélant que lui seul
pouvoit rivaliser la nature.
A force de travaux et d'industrie, l'homme est enfin parvenu
à donner naissance à des fruits admirables par leurs
variétés, leur volume, leurs couleurs et leur saveur; mais
jalouse de ses succès, la nature a constamment refusé à ces
mêmes fruits, la puissance de se reproduire par la voie
de la génération, puissance dont jouissent avec plénitude
les fruits dont elle seule est la mère.
Tant que la culture resta dans l'enfance, les bons fruits
qu'elle obtenoit n'existoient qu'autant de tems que l'arbre
qui lesportoit; après quoi ils disparoissoient pour toujours.
Car quoique l'origine de l'art des boutures, des marcottes
et de la greffe se perde dans la plus haute antiquité, il
est certain qu'on a cultivé longtems avant d'avoir pu faire
prendre racine à une branche d'arbre à fruit, et encore
plus longtems avant d'avoir su imiter la nature dans l'opération
de la greffe par approche qui est la seule espèce
de greffe dont elle nous donne l'exemple. Mais il est certain
aussi qu'il fut un tems très-reculé où quelque partie de
culture ou de physique végétale avoit été portée à un point
de perfection qu'on ne connoissoit déjà plus au siècle
d'Hésiode, il y a bientôt trois mille ans. Nous entendons
parler du tems où l'on inventa la greffe en écusson. Cette
greffe n'est pas une imitation de la nature, mais un simple
produit du raisonnement : or celui qui a su raisonner au
point d'attendre d'une greffe en écusson le même résultat
que d'une greffe par approche, savoit au moins autant de
physiologie que nous en savons, et tju'on en a su pendant
les trente derniers siècles qui nous ont précédés.
Au reste il n'y a rien d'étonnant que dans des siècles
très-reculés, la culture des arbres et celle des plantes
céréales ait été portée à un très-haut degré de perfection.
Outre qu'elle a de tout tems été la source des véritables
biens et le moyen le plus légitime de s'enrichir, elle procure
encore un exercice utile et des jouissances variées
à l'infini, qui, bien loin d'empoisonner la vie, comme tant
d'autres, ne font qu'en embellir le cours et les loisirs.
Même après que l'esprit de l'homme eut dirigé ses
goûts inconstans vers des biens d'une autre nature, les
rois sages, les princes éclairés, toujours convaincus du
prix de l'agriculture , ne cessèrent point pour cela d'y
encourager leurs peuples, et de les porter à la pratique
de cet art dont Us n'avoient pas dédaigné de tracer euxmêmes
les préceptes et les loix. Ne vit-on pas chez les
Romains, les plus grands hommes être à la fols cultivateurs
et guerriers? C'étolt à la charrue, au milieu des
champs, qu'on allolt les chercher pour les mettre à la
tête des armées, les élever au consulat et à la dictature; et
quand ces demi-dieux avolent sauvé la patrie ou vaincu
ses ennemis, ils abdlquoient leurs dignités, déposoient les
faisceaux pour reprendre leurs instrumens aratoires.
Cependant l'esprit faux et superbe des cités faisoit