déjà regarder l'agriculture comme une occupation vile et
indigne d'un homme de mérite. Il tendoit à faire oublier
qu'elle est un des ans les plus difficiles, qui embrasse le
plus de parties, et sur-tout qu'elle est la première colonne
des états policés. C'est à ce faux esprit qu'est sûrement dû
le mépris mutuel qui existe entre l'inconséquent citadin et
le bon villageois. Au reste, quoi qu'il en soit de ce dédain
réciproque, les personnes sensées honorent toujours l'agriculture
comme la plus utile des professions, et les cultiVateurs,
comme la classe la plus essentielle des empires.
Comme toutes les connoissances humaines, l'agriculture
a gagné, ou le plus souvent a perdu aux révolutions des
états. Selon les circonstances, telle partie de culture'a été
proscrite et telle autre encouragée. (;'est ainsi, par exemple,
que dans les tetns désastreux de notre révolution, il fut'
sinon plus utile, du moins plus silr pour la tranquillité
du cultivateur, de couvrir sou sol de pommes de terre,
que de l'enrichir par la naturalisation de nouvelles plantes
étrangères. Pline se plaignoit que de son tems, on ne
connoissoit déjà plus les fruits qu'avoient décrits les anciens
auteurs; qu'on avoit même oublié jusqu'à leurs noms ; il
attribue cet ou})li à la négligence dans laquelle le goût
d'autres objets lit tomber l'étude des fruits. Toutefois il est
probable que plusieurs de ces fruits avoient disparu, et
qu'on ne reconnoissoit plus les autres, parce qu'ils n'étoient
pas décrits méthodiquement. C'est en effet le défaut de
méthode des anciens dans leurs descrijjtions, qui est
cause que les naturalistes modernes ne reconnoissent avec
certitude que très-peu d'objets dans les auteurs grecs et
latins.
Quelques savans prétendent cependant reconnoître un
assez grand nombre de plantes décrites par Théophraste,
Dioscoride, Virgile, Pline et autres anciens. Adanson seul
se vante de les reconnoître toutes. Linné qui avoit autant
de génie et de pénétration qu'aucun naturaliste, croyoit
que cela étoit impossible, et se moquoit avec raison de
tous ceux qui perdoient leur tems et leurs peines à des
recherches de cette nature.
Il en est de même de la plupart des opérations agricoles
et horticoles décrites par les anciens. Nous entendons
parfaitement leur tliéorie ; mais rarement pourrions-nous
mettre leurs préceptes en pratique, si nous n'avions déjà
yu opérer, ou si nous n'en eussions pas nous-mêmes acquis
une certaine habitude. Caton, Varron, Columelle, "Virgile
et son élégant traducteur, l'abbé DeKlle, ont décrit la
greffe en écusson : cependant nous défions qui que ce
soit de faire cette greffe heureusement s'il n'est guidé que
par les auteurs que nous venons de citer.
Quand les hommes eurent reconnu que les graines céréales
contenoient une plus grande quantité de parties nutritives
que les fruits des arbres, ils en couvrirent les plaines, et
en firent la ])ase de leur nourriture. Alors on vit se
rétablir entre l'homme et les arbres fruitiers qui avoient
déposé leurs épines quand il déposa sa rudesse, et qui,
nécessairement attachés à son sort, avoient pris une forme
d'autant plus agréable et faisoient couler dans leurs fruits
des sucs d'autant plus doux , que l'homme avançoit à plus
grands pas vers la civilisation; alors, disons-nous, on vit
se rétablir l'ancien rapport qui exista d'abord entre eux; ils