tourmentés pour obtenir de la terre une nourriture qu'elle
leur proiliguoit d'elle-même? Ne leur offroit-olle pas avec
profusion les bananes, les goyaves, les sapotilles, les cocos
et plusieurs autres fruits qui ont suffi et suffiront encore
longtems pour nourrir les liabitans de ces lieux fortunés?
Mais il n'en fut pas de même pour l'homme qui se trouva
sous un climat froid ou tempéré. La terre ne lui accordoit
rien qu'à l'orce de travaux; et chaque fois qu'il faisoit une
invasion dans ses immenses domaines, elle sembloit la lui
reprocher en marâtre, comme si elle n'eût pas été sa patrie.
Fatigué des rigueurs de la nature , ce fut alors que
l'homme commença à dévelojiper son caractère auguste,
et à se distinguer de la brute contre laquelle il avoit
jusqu'ici disputé sa proie. Son génie prit l'essor; ses conceptions
s'agrandirent; ses idées se multiplièrent, et il
les combina; les phénomènes qu'il n'avoit jamais observés
le frappèrent; il tira des conséquences des uns, devina
les autres, et tâcha de les imiter. Bientôt maître des
secrets de la nature , il força le poirier à déposer ses
épines, à se multiplier sous mille formes différeutes, à
changer la substance dure et acre de ses fruits en une
chair suave et succulente ; il donna la douceur du miel à
l'acide mordant des raisins et à l'aigreur rebutante de
la cerise les amandes perdirent leur amertume ; les pêches
sèches et revêches se métamorphosèrent en un fruit
qui fait le charme de la vue, du goût et de l'odorat: enfin
l'homme imjirima le sceau de sa puissance sur tous les
êtres qui l'entouroient, non-seulement en les faisant servir
à ses besoins ou à ses plaisirs, mais encore en changeant
leurs moeurs, leurs formes et leurs caractères naturels.
Toutes ces merveilles n'ont pu s'opérer que dans un
climat tempéré, c'est-à-dire pas assez chaud, pour que
la nature y produisit d'elle-même ce qui est nécessaire
à la nourriture de l'homme, ni assez froid, pour l'avoir
empêché de développer toutes ses facultés physiques et
intellectuelles.
En effet, l'habitant des tropiques soumis aux seuls
besoins impérieux de la nature, vivre et se reproduire,
n'a jamais sollicité les secours du génie ni d'un raisonnement
bien étendu pour y satisfaire : aussi végète-t-il encore
aujourd'hui dans un état bien peu élevé au-dessus de la
brute parce qu'il manque de stimulant nécessaire au
développement de son intelligence. D'un autre côté,
rhal)itant des zones glaciales , rebut de la nature, eut
bien, à la vérité , le sentiment de ses nombreux besoins ;
mais l'àpreLé de son climat s'opposa constamment à un
entier développement de ses organes: or, avec des organes
imparfaits, il ne put jamais agir et penser qu'imparfaitement.
L'habitant des zones tempérées, aussi bien organisé que
celui des tropiques, renfermoit en lui le germe du génie
et de toutes les facultés intellectuelles; mais la terre ne lui
offroit que des glands, des ronces et des épines. Cependant,
obligé de vivre, il lui fallut diriger continuellement son
imagination vers les objets ijui pouvoient assouvir sa faim,
et travailler de ses mains pour exécuter ce que la combinaison
de ses idées lui suggéroit. Ces diverses opérations
agrandirent sa mémoire ; ses expériences heureuses ou
infructueuses s'y gravèrent; il en profita pour mieux faire.