retardez vos jouissances pour jouir plus long-temps. En conséquence, La
Quintinyc tailloit fort court tous ses arbres, jeunes et vieux, et prétcndoit par là
retarder la fructification naturelle des jeunes arbres, qu'il appeloit fructification
prématurée, et modérer la fructification des vieux, afin de faire vivre les uns
et les autres plus long-temps. Ce raisonnement étoit des plus absurde, et si
La Quintinyc eût été obligé d'attendre les fruits de ses arbres pour vivre, il n'y
auroit pas tenu toute sa vie comme il a fait. Entre ses mains, un arbre qui
commence naturellement à rapporter du fruit après deux ou trois ans de
plantation, ne commençoit à en rapporter qu'après dix ou douze ans, et toujours
en petite quantité. La Quintinye s'opposoit tellement à l'extension des arbres,
que, dans son ouvrage, il fixe la distance des pêchers en espalier à 12 pieds
dans le meilleur terrain, et à 9 pieds dans les médiocres, tandis que cet arbre,
bien conduit, prend de 36 à 40 pieds d'envergure en huit ou dix ans, et rapporte
chaque année cent fois plus de beaux et d'excellens fruits que n'en obtenoit
La Quintinye. Aussi, depuis long-temps la taille à La Quintinye est abandonnée,
comme contraire au voeu de la nature et à nos intérêts, et l'on convient
que la vogue prodigieuse dont elle a joui, n'étoit duc qu'à la position élevée
de son auteur et à l'ignorance des jardiniers de cette époque.
La Quintinye n'avoit aucune connoissance en botanique ni en physiologie
végétale. Il croyoit et soutenoit que toutes les variétés de fruits avoient été
créées au commencement du monde; et quand on lui en montroit de nouvelles,
il nioit qu'elles fussent nouvelles, et disoit que, si on ne les avoit pas
encore vues, c'est qu'elles étoient restées cachées ou ignorées dans quelque coin
de la terre. Ceci prouve qu'il ignoroit aussi ce que c'est qu'une pépinière.
Cet auteur assure avoir vu et goûté 3oo sortes de poires, et que, dans ce
grand nombre, il ne s'en est trouvé qu'environ une trentaine qui fussent dignes
d'être plantées et multipliées. Cependant, pour satisfaire à tous les goûts, il en
désigne 67 sortes diflfércntes, pour composer une plantation de 5oo poiriers.
Ses discussions sur le mérite de chaque fruit en particulier, sont intéressantes
et pittoresques; il les fait parler en présence les uns des autres, et chacun
expose son mérite et les qualités qui doivent le faire préférer à tel autre qui
lui dispute le rang. Son catalogue signale 173 poires, parmi lesquelles une
trentaine sont décrites plus ou moins complètement, en raison du cas qu'il
en faisoit : il a supposé que le reste étoit assez connu ou ne valoit pas la
peine de 1 être. On remarque qu'il n'aimoit pas les poires cassantes, qu'il en
plantoit peu, quoique, dit-il, elles aient été très-estimées autrefois.
L'article pomme étant bien moins important que celui des poires, est aussi
bien moins étendu. La Quintinye n'en relate que 21 sortes, et de ccs 21 il n'en
alTectioime même que 7, qu'il estime les meilleures et qu'il décrit avec assez
de détail.
Les pêches, quoique traitées avec beaucoup plus de soin que les pommes.
sont, ce nous semble, encore trop négligées. La pêche est véritablement le roi
des fruits : son éducation est si difficile; elle a tant d'ennemis; elle est si
parfaite lorsqu'elle peut acquérir toutes les qualités qui lui sont propres, qu'on
ne peut tarir sur son compte lorsqu'on l'envisage sous tous les rapports par
où elle nous intéresse. La Quintinye en nomme 42 variétés, et il en décrit
une vingtaine qu'il donne comme les meilleures.
La nomenclature des prunes est assez considérable, quoique La Quintinye
n'en estime et n'en décrive qu'un petit nombre. Il a expérimenté que le Perdrigon,
la Sainte-Catherine, la Prune d'abricot, la Roehe-Courbon et les Impératrices,
sont les seules prunes qui gagnent à être plantées en espalier
au Midi. Nous pouvons assurer que la Reine-Claude gagne aussi beaucoup à
cette exposition. Enfin notre auteur décrit 11 figues, 3 abricots, 6 cerises,
5 raisins, 1 azerole, et donne des instructions pour placer convenablement
chacun de ccs fruits dans un jardin.
Son Traité des orangers nous semble un bon guide pour la culture de cet
arbre dans notre pays. L'usage aujourd'hui si répandu d'élever de petits orangers
par la greffe à la Poutoise, n'étoit pas connu alors, et c'est la seule partie qui
manque au Traité de La Quintinye.
L'auteur termine son ouvrage par ce qu'il appelle Réflexions sur quelques
parties de l'agriculture, dont on a fait justice depuis long-temps. C'est là surtout
qu'il a montré son défaut de pratique, la nullité de ses connoissances en culture,
en botanique et en physiologie végétale. Ces Réflexions occupent 98 pages, et
il n'y a pas une ligne dont on puisse faire usage aujourd'hui.
Si maintenant nous résumons nos réflexions sur l'ouvrage de La Quintinye,
nous trouvons que cet auteur a beaucoup nui au progrès de la taille des arbres
fruitiers, parce qu'il avoit adopte et qu'il a suivi avec opiniâtreté un .système
contraire au voeu de la nature et à l'intérêt du cultivateur, et que c'est la place
importante qu'il occupoit qui lui a valu l'immense réputation dont il a joui,
et qui lui a survécu plus d'un siècle. La Quintinye avoit nécessairement fait ce
qu'on appelle de bonnes études, puisqu'il cite très-souvent les anciens auteurs
latins; il étoit, dit-on, destiné au barreau. Quant au lieu de sa naissance, il ne
l'a pas nommé; mais il donne assez à entendre qu'il étoit de la Touraine, et qu'il
avoit toujours eu la passion des fruits. Vers la fin de sa vie, il signoit De La
Quintinye; ce qui a fait penser que le roi lui avait accordé des lettres de
noblesse. Il mourut vers 1G68.
4.° J. P. DE TOURNEFORT, Institutiones reî lierbariw. Trois volumes in-4." 1 ^00.
Joseph Pltton de Tournefort naquit à Aix en Provence, l'an i656. DestiniS
par SCS parens à lëtat eccUsiastiquc, son amour pour les plantes l'emporta sur
letude de la théologie; au sortir du eollégo, il alla étudier la médecine et la
Su