3o On ne peut supprimer le passé. En matière de nomenclature scientifique, il faut
retenir tout ce que le passé nous a légué de satisfaisant, en le précisant, s ’il y a
lieu. En agissant autrement, on risquerait de ne plus comprendre les oeuvres des
anciens, fussent-elles excellentes.
lo La nomenclature doit s ’appliquer aux faits existants et actuels; elle doit être d ég a gé
e des subjectivités et des hypothèses (par exemple : succession chronologique des
associations, genèse des formations, évolution, etc.).
11 ne s ’agit pas de promulguer des lo is 'ou de formuler des règles au sujet des
méthodes de là phytogéographie, mais seulement de donner des avis dictés par
l’expérience et par la discussion des travaux publiés antérieurement. En laissant à
chacun pleine liberté de s ’exprimer comme il lui plaira, il paraît nécessaire d’insister
sur un point : La condition essentielle pour éviter toute ambiguïté, c’es t que chaque
auteur énonce clairement le sens exact qu’il donne à sa terminologie.
La priorité et le nom des choses. — A l’occasion des principes formulés sous les
Nos 2 et 3, il y a lieu d’examiner deux questions préalables et, d’ailleurs, inséparables;
lo la question de priorité; 2« celle de la création et de la formation des mots destinés à
exprimer des faits phytogéographiques.
La priorité d’un terme et de son application doit-elle être considérée comme imposant
son usage dans la nomenclature phytogéographique (F. C l em e n t s , A system, p. 4 ,1 9 0 2 )?
Cela ne semble pas admissible. En faisant cette proposition, F. C l em e n t s paraît
croire que la nomenclature de la Phytogéographie peut être soumise à des règles fixes,
invariables, comme la systématique. Mais la biologie systématique opère sur des objets
tangibles, nettement et rigoureusement définis, dont les caractères peuvent être sans cesse
contrôlés sur des exemplaires originaux et demeurent pratiquement invariables, en sorte
que chaque objet peut recevoir un nom, sans aucun danger de confusion. Il n’en est pas de
même en Phytogéographie.
lo En Phytogéographie biologique, on ne peut, en aucun cas, formuler le rôle
précis, exclusif, de chaque facteur agissant sur la plante, humidité, température, lumière,
etc. Le rôle de chacun d’eux varie à l’infini et l’on ne saurait l’exprimer sans faire intervenir
des transitions de toute sorte. A plus forte raison est-il moins possible encore d’e x primer
par des mots les innombrables combinaisons de ces différents facteurs entre eux.
Aucune description, aucun mode de figuration ne peuvent donner une idée satisfaisante de
cette harmonie complexe des facteurs. Aucune ne pourrait servir de témoin et s ’imposer
comme faisant autorité. En un mot, on ne saurait donner une diagnose exacte des unités
phytogéographiques.
2o En matière de Phytogéographie topographique, aucune description ne saurait
être à la fois assez précise et assez générale pour être partout applicable. Tout groupement
de végé taux qui a reçu un nom dans un pays diffère plus ou moins du groupement
qui Im ressemble le plus en une autre région. S’il a reçu un nom vulgaire, populaire, ce
nom exprime mieux que tout autre le groupement auquel il s ’applique. Vouloir le remplacer
par un nom dont l’application serait universelle, c’est se placer en face d’une impossibilité
inhérente à la nature même des objets dont il s^agit.
Trois botanistes ont tenté récemment d’appliquer une nomenclature méthodique, uniforme
et réglée, aux faits phytogéographiques. Le premier essai et le plus étendu a été
réalisé par F. C l em e n t s (A System, 1902), très timidement suivi par L. D i e l s qui trouve
le système de C l em e n t s trop schématique (Pflanzengeographie, 1908). W. F. G a n o n g ,
de son côté, a fait des propositions générales du même ordre en 1902 (A preliminary
Synopsis).
Ces premiers efforts manifestent déjà des divergences d’interprétation. Dès maintenant,
des mots différents expriment les mêmes choses. Ces essais ont été accueillis, en
général, avec peu de faveur. A. E n g l e r déclare nettement ne pouvoir adopter les propositions
de C l em e n t s (in Englers Jahrb., y m x ,Beiblatt, 70, p. 1); O. D r u d e ne les discute
pas (Pflanzengeographie in Geogr. Jahrb.,\9Q5)\ Eug. W a rm in g ne les applique pas.
11 ne paraît donc pas possible d’admettre que la priorité d’un terme et de son application
puisse s ’imposer comme une règle en Phytogéographie. En conséquence, on ne peut
avoir la prétention de restreindre les droits de toute personne à qui il plaira d’exprimer des
faits géographiques par des mots.
En réalité, la nomenclature phytogéographique a commencé le jour où l’on a distingué
une forêt d’un marais; il y a longtemps de cela. Il serait ridicule de prétendre imposer
au monde la suppression de tout le passé, pour recommencer, à partir d’une date déterminée,
ce que les besoins de l’humanité ont édifié depuis avant les débuts de l’histoire.
Toutes les conséquences que F. C l em e n t s déduit de sa proposition I relative à la priorité
semblent devoir être rejetées avec elle. Il n’y a pas lieu de préférer des mots tirés des
langues classiques, mortes, aux dénominations populaires. Ces mots'nouveaux demeureraient
incompréhensibles pour la plupart des botanistes en un temps où l’étude des langues
anciennes est presque partout négligé e ou abandonnée. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs,
que les Grecs ont été surtout des philosophes, des mathématiciens et des artistes, et que
leur langue est pauvre en mots exprimant les choses de la nature; elle serait impuissante
sans doute à nous fournir tous les radicaux dont nous aurions besoin et les botanistes
risqueraient fort d’importuner souvent les philologues.
Formation. — Nous souhaitions en 1900 (F l a h a u l t , Projet, p. 19) que les phytogéographes
expriment exactement ce qu’ils entendent sous le nom de Formation. De sérieux
efforts ont été réalisés dans ce sens. Les phytogéographes paraissent tendre, assez g én é ralement,
à admettre le sens large dans lequel û r i s e b a c h avait appliqué le nom de formation
en 1838 (Ueber den Einfluss des Klimas).
Avec W a rm in g (1909, voir aussi S c h r ö t e r 1902,’ p. 72), nous voyons dans une
formation une expression de certaines conditions déterminées de vie (conditions climatiques,
édaphiques, rapports réciproques des êtres vivants), indépendante des différences floristiques
(Oecology of plants, 1909, p. 140). La formation comprend des formes de végétation
semblables ou dépendantes les unes des autres (O. D r u d e , Pflanzengeographie in Nea-
mayers Anieitiing, p. 341, 1905).
Quelques savants ont cru devoir exiger pour la formation certaine condition de fixité
actuelle (D r u d e , B e c k ) ; mais, si dans les limites de la durée possible de nos observations,
les conditions climatiques et édaphiques ne varient pas d’une manière appréciable, il n’en