assez! D’immenses tunnels ont été forés, à travers le
mont Cenis (col de Fréjus), le Saint-Gothard, la chaîne
du Voralberg. D’autres traverseront peut-être bientôt le
Simplon, le mont Blanc, etc. C ’est donc au milieu des
flancs mêmes des Alpes que les nations euiopéennes
peuvent en temps de paix se tendre une main amie !
Mieux que Louis XIV ne l’a fait pour les Pyrénées, elles
pourraient se vanter d’avoir supprimé les Alpes!
Depuis des séries de siècles, frappées par la foudre et
les orages, rongées par les eaux, désagrégées par les
pluies et les gelées, ébranlées par les secousses terrestres,
usées et démolies par les anciens glaciers, les
Alpes ne sont plus que les ruines d’elles-mêmes.
Les nombreux fragments qui gisent à leui pied,
les masses énormes de débris entraînés au loin par les
fleuves, puis étalés dans les plaines, les dénudations
intenses dont on retrouve les traces dans toute la
chaîne, tout nous prouve que les Alpes, aujourd’hui
démantelées et décapitées, s’élevaient autrefois à une
hauteur bien plus grande. Cette surélévation qui est
toujours allée en se dégradant, a eu néanmoins des
conséquences extraordinaires, en unissant son action
à celle de causes multiples; elle a pu déterminer ainsi
l’extension prodigieuse des iinciens glaciers quatei-
naires, en offrant aux nuées du ciel de larges surfaces
réfrigérantes. Puis le condenseur alpin en s ’abaissant
a perdu de son énergie ; la vaste nappe des névés s’est
morcelée, s’est rétrécie, et les anciens glaciers se sont
enfermés lentement et progressivement dans les limites
qui enserrent aujourd’hui les amas de neige et de glace
dans les Alpes. Les innombrables problèmes qui se
relient à l’existence de la Période glaciaire fournissent
sans cesse autant d’éléments d’études à l ’activité scientifique
et attirent chaque année de nombreux savants
dans les Alpes.
De loin, de la vallée du Rhône, des collines lyonnaises,
des hauteurs du jura, des plaines de la Bavière,
du Frioul, de la Vénétie ou des rives du Pô, les
silhouettes neigeuses des Alpes se déroulent devant les
yeux, comme le plus éblouissant panorama ! On ne peut
contempler, sans une émotion profonde, ces cimes aux
contours accidentés, à la blancheur étincelante.
Cet aspect saisissant constitue la véritable caractéristique
de la chaîne des Alpes. Les populations anciennes
l’avaient bien compris, et pour rendre leur impression,
en dénommant ces montagnes, elles se servirent d’un
radical : ait, alb ou alp qui exprime à la fois l ’altitude et
l ’escarpement, ou le froid et la blancheur de la neige qui
n’en sont que les conséquences naturelles L En kymri
et dans l’ancien gaulois, le mot alp signifie rocbe escarpée'.
Très souvent on retrouve dans l’origine du nom des
montagnes, le souvenir de cette impression visuelle
donnée par la neige. De là les noms de montagnes blanches,
neigeuses ou brillantes, qui ont été appliqués dans
diverses langues à des chaînes élevées, telles que
* Hip. Cocheris, Eniretien sur la langue française, t. I, p. 25 ;
t. 11, p. 56.
^ Littré, Diciionnaire de la langue française.