Pourquoi s’étonner de cet entraînement, de cet enthousiasme?
Les Alpes ne sont-elles pas lesmontagnes
des glaciers, des grands lacs, des cascades, des vallées
profondes, des cimes escarpées et soulevées? Ne renferment
elles pas de précieux minerais, de superbes échantillons?
N’est-ce pas en pulvérisant leurs roches que le
temps a préparé cette terre riche et féconde qui a entretenu,
sur un espace restreint, la végétation d ’une flore
aussi curieuse par ses origines que variée dans ses formes,
qui a suffi au développement successif d ’une faune
remarquable par le nombre et la diversité de ses genres
et de ses espèces? Et les plaines fertiles qui, de toutes
parts, entourent les Alpes et s’étalent à leur pied et au
loin, ne sont-elles pas formées des débris arrachés à leurs
sommets et à leurs pentes ?
En définitive la Force Intelligente qui a créé les mondes
a fait sentir partout dans les Alpes son énergie et sa puissance
!
Mais ces énormes massifs montagneux remplissent
encore un rôle aussi pratique et peut-être plus étrange.
Grâce à l ’élévation excessive et à l’immense étendue de
leurs sommets, ils sont, comme l’a dit M. Faye, les plus
vastes et les plus énergiques condenseurs des nuées de
l’Europe. Contre leurs flancs escarpés, leurs cimes soulevées
jusque dans les régions les plus froides de l’atmosphère,
les vapeurs aériennes poussées par les vents et
refroidies par l’effet de leur dilatation, viennent successivement
se transformer en pluie ou en neige, et finalement
en glaciers et en torrents.
IN F LUENC E DES CIMES SU R LES G L A C IE R S , E T C . I 7
Les Alpes sont donc le plus grand réservoir où se concentrent
les vapeurs humides pompées par le soleil à
toutes les mers qui entourent l’Europe, et de ce réservoir
s’échappent la plupart des principaux fleuves qui dans
notre continent vont répandre, au loin et en tous sens_^
la fécondité agricole et la richesse commerciale.
Ces accumulations de neige et de glace, ces différences
énormes d’altitude pour des stations peu éloignées
les unes des autres, engendrent des conditions
climatériques toutes spéciales. Dans les Alpes, quelques
centaines de mètres en hauteur correspondent à plusieurs
dizaines de degrés en latitude. Ainsi, en Ligurie,
au pied des montagnes baignées par la Méditerranée,
on traverse des forêts d ’oliviers, des jardins d’orangers
et de citronniers ; puis après s ’être élevé pendant quelques
heures sur les pentes, on s ’étonne de se trouver
au milieu de champs de neige dont la solitude et la
blancheur font penser aux régions polaires, aux icefelds
du Groenland. Quels contrastes étranges de climats !
Que de lois à étudier ! Que de problèmes à résoudre !
Ces névés, ces gigantesques glaciers, les plus nombreux
et les plus vastes de l’Europe centrale, ne font
même pas des Alpes une barrière presque infranchissable,
comme l’immense muraille des Pyrénées, ouverte
seulement par des sentiers dangereux et des ports d’un
accès difficile. Un géographe ^ a dit : « Bien au contraire,
les Alpes sont des montagnes en quelque sorte
^ F o n ç in , La troisième année ch géographie, p . 38.
F a l s a n , Les Alpes Françaises. 2